La vague répressive qui a frappé le mouvement anarchiste depuis quelques années a mis en évidence combien celui-ci est actuellement limité et désagrégé, rendant, à notre avis, beaucoup plus facile et fructueux le travail des magistrats et des flics, toujours prêts à saisir le moment le plus opportun pour faire leur travail.
Peu de débat, peu d’idées à analyser et à développer, trop de fermeture dans nos milieux de lutte créent des failles toujours plus grandes dans lesquelles peuvent se glisser les forces répressives de l’État pour frapper, malheureusement impunément, tous ces compagnons qui accomplissent encore un « travail révolutionnaire » notable, ou même tous ceux qui ne s’adaptent pas aux règles que la société veut nous imposer à tout prix. A tout cela, comme si ça ne suffisait pas, viennent s’ajouter les réactions d’une partie du mouvement, souvent désordonnées, qui ont suivi certaines actions et en particulier celle de la jambisation de l’administrateur délégué d’Ansaldo Nucleare Roberto Adinolfi, pour laquelle ont été arrêtés les compagnons Alfredo Cospito et Nicola Gai qui ont revendiqué l’action durant le procès où ils étaient inculpés.
D’un côté, quelqu’un s’est senti en devoir de nous expliquer à nous simples mortels quelle est la vraie route à suivre, quels sont les dogmes de l’insurrectionalisme qu’il faut absolument respecter. Beaucoup de belles paroles ont été écrites, mais elles n’ont pas réussi à couvrir la réalité crue, c’est-à-dire que ce n’étaient rien d’autre que de lâches prises de distance dictées par la peur des auteurs d’être impliqués dans une éventuelle enquête. Les auteurs de ces textes se sont dégonflés préventivement face au pouvoir, suggérant implicitement aux enquêteurs d’aller regarder ailleurs.
De l’autre côté, au contraire, on en a vu certains (heureusement peu) se ranger de manière acritique derrière les choix organisationnels et méthodologiques entrepris par certains compagnons. De fait, il s’est créé un public applaudissant qui, bien loin de se salir les mains, défend férocement ce qui est vu comme la « nouvelle anarchie ».
Nous n’avions vraiment pas besoin de tout cela, parce qu’il est assez évident que l’isolement, le fait de se réfugier dans des positions monolithiques, le manque de rapports, stables ou moins, nous rendent plus vulnérables face aux attaques de nos ennemis.
Nous tenons à clarifier le fait que notre intention n’est pas d’aplanir les différences, les divergences d’opinion, les diverses approches méthodologiques et organisatives existantes. Ce qui nous tient à cœur, c’est que s’il y a une réelle volonté de détruire cette société dans ses fondements, nous devrions tous nous efforcer, là où c’est possible, de trouver un terrain commun, ou peut-être qu’il serait plus correct de dire des objectifs communs, qu’ils soient idéaux ou pratiques, pour rendre nos luttes plus incisives, plus ciblées, plus destructrices et nos actions plus diffuses, et en même temps rendre le travail de nos persécuteurs plus difficile.
Du minimum de débat qu’il a eu lieu ces derniers temps est ressortie l’exigence, de la part de beaucoup de compagnons, d’approfondir et de développer le concept de solidarité révolutionnaire.
Pour nous, certaines dynamiques peu édifiantes qui se sont développées ces derniers temps rendent encore plus urgent d’aborder ce genre de sujet.
Nous voulons parler de solidarité révolutionnaire parce que nous pensons que de là pourrait s’élancer une stratégie d’attaque réellement destructrice à laquelle pourraient participer un plus grand nombre de compagnons et nous faire faire quelques pas en avant dans notre parcours révolutionnaire.
Nous insistons à propos de l’attaque destructrice parce que trop souvent ces derniers temps on s’est limité à accomplir de petites actions (et nous nous excusons auprès des compagnons de les juger presque insignifiantes) qui prennent de la forme et de l’épaisseur par un usage impropre des mots, faisant passer le lancement d’un œuf de peinture sur une vitrine pour une attaque d’envergure.
Redonner une valeur sémantique aux mots pourrait faire apparaître tout type d’action pour ce qu’elle est réellement, cela pourrait mettre fin à un jeu au rabais qui nous conduit à devenir les les ombres de nous-mêmes. Un tag sur un mur n’est qu’un tag. Il ne peut pas devenir autre chose juste parce qu’on en parle au JT. On ne peut pas se contenter de nos cinq minutes de célébrité. Laissons le spectacle à d’autres.
Parler de solidarité révolutionnaire en ce moment où nous sommes soumis à une attaque massive de la part de l’État nous oblige à clarifier le cadre dans lequel nous voulons développer notre stratégie d’attaque.
Par exemple, si nous nous limitons au simple soutien moral et matériel de nos compagnons incarcérés ou soumis à d’autres mesures restrictives, nous nous positionnons uniquement dans une optique défensive qui ne nous permet pas d’avancer d’un millimètre dans notre parcours de lutte. Faire des rassemblement devant les prisons, envoyer de l’argent et des publications aux compagnons enfermés est bien sûr quelque chose de très important. Rendre évident aux yeux de tous que nous ne laissons pas nos compagnons seuls est fondamental mais, et il y a toujours un mais, il faut faire un effort supplémentaire pour éviter de se réduire à jouer un rôle de croix rouge. De plus, il faudrait éviter que l’arme de la solidarité ne soit utilisée seulement pour les compagnons qui fréquentent notre petit jardin. Nous ne pouvons pas créer nous-mêmes des divisions et des différenciations, nous devrions laisser cette tâche à notre ennemi.
Ce que nous estimons d’importance vitale est que, par exemple, les luttes entreprises par les compagnons ne soient pas perdues dans le vide au moment où ces derniers sont arrêtés. Continuer le travail interrompu à cause de la répression permet d’abattre idéalement les barrières, les cages qui nous séparent des compagnons pour qui il est impossible d’agir, nous rendant comme un seul corps agissant formé d’innombrables individualités qui agissent selon leurs modalités propres.
Par cela, nous ne voulons pas dire que l’on doive nécessairement (et ce n’est pour nous même pas souhaitable) se conformer aux modalités pratiques et organisationnelles des compagnons tombés dans le filet de la répression : la façon d’agir et de sentir n’est pas forcément la même pour tous. Mais si le parcours d’un individu est un parcours révolutionnaire, continuer et intensifier son action est en soi un acte de solidarité révolutionnaire. Le but ultime vers lequel nous tendons tous (ou nous devrions tendre) est le même, à savoir la destruction du système créateur de misère et prédateur du capital et de l’autorité ; si pour le réaliser nous utilisons des méthodes et moyens différents, nous ne dénigrons pas le parcours entrepris par les autres, mais nous le renforçons, à condition que nous ne tombions pas dans l’autoréférence ou l’acritisme.
Notre but devrait être une généralisation, et donc une croissance exponentielle, des attaques ciblées et réellement incisives qui deviendraient une constante bien enracinée. Une « pratique normale » dans notre parcours quotidien de lutte.
De plus, nous pensons que cette stratégie nous permettrait de ne pas attendre la répression pour « réagir », mais d’« agir » pour réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés malgré le travail de notre ennemi.
[Traduit de l’italien par non-fides de Blasphemia n°1, mai 2014.]