(Ces mots nous parviennent aujourd’hui 10 mars 2017 depuis la taule, avec le retard propre aux communications restrictives dans les centres d’extermination espagnols. Le 7 mars, les compagnon-nes ont finalement été expulsés au Chili, où ils ont été reçus avec force déploiement médiatique et menaces répressives. Mais finalement Mónica et Francisco sont dehors, leur dignité intacte)
*Affinité et solidarité contre le victimisme et l’autorité.*
Dans la lutte pour rompre avec l’ordre l’établi, nous cherchons et nous créons de nouvelles formes de relations en opposition avec l’imposition et l’autorité. Des formes qui nous font sentir à l’aise pour nous épanouir de manière autonome, proposer et mener des initiatives d’affrontement quotidien. En se sens, nous comprenons l’affinité comme la manière la plus adéquate de nous relationner entre anarchistes, non pas comme le fruit de slogans vides répétés à satiété, mais comme le résultat de pratiques et de visions partagées qui aident à créer des liens durables de compagnonnage et de fraternité allant au-delà de simples liens d’amitié.
La confiance et l’affection qu’offre le fait de sentir et de savoir que nous partageons des idées en rébellion permanente constituent le substrat et la force de l’affinité qui se fortifie et se développe dans un ensemble de pratiques antiautoritaires. Ces idées, pour leur part, sont inséparables de notre choix de vie, un choix qui renforce ce que nous pensons et se confirme par ce que nous faisons. C’est à travers ces relations que nous grandissons individuellement en ayant la possibilité incontestable d’agir sans entraves, ce qui empêche la création de comportements bureaucratiques et autoritaires, en coupant à la racine toute tentative de concentration de pouvoir.
Les critiques de cette position affirment qu’il est impossible de cette manière d’avoir quelque incidence sur la “réalité sociale” et que l’on fait de l’anarchisme une sorte de ghetto. Pour notre part, nous répondons que nous ne voyons pas l’anarchisme comme un parti politique se servant de toutes sortes de stratégies pour grossir quantitativement ses rangs dans le but d’obtenir une certaine hégémonie. Nous pensons que les moyens doivent nécessairement être cohérents avec les fins, et qu’il est donc contradictoire de prétendre à la libération totale par des moyens qui la restreignent. Pour nous, l’anarchisme n’est pas une réalisation, mais avant tout une tension dans laquelle l’initiative individuelle joue un rôle central.
Au cours de cette expérience d’enfermement qui touche à sa fin, nous avons vécu la naissance, le renforcement et la consolidation de relations d’affinité. Nos compagnon-ne-s ont donné du contenu au mot solidarité, nous remplissant ainsi de force et de fierté. En surmontant des difficultés aussi nombreuses que variées, nous avons ensemble pu construire des positions et des initiatives dont nous avons beaucoup appris. Quitte à nous répéter, c’est la volonté et la détermination de nos compagnon-ne-s qui ont détruit des murs, des barreaux et des kilomètres de distance, qui ont déjoué les pièges du pouvoir visant à l’isolement et à l’absence de communication. Nous avons essayé et nous pensons avoir réussi à établir une relation éloignée et contraire à tout comportement assistancialiste où le/la prisonnier-e serait vu-e comme « une pauvre victime du système, objet d’atroces injustices ». Le fait d’assumer qu’en tant qu’anarchistes, nous sommes en conflit permanent avec le pouvoir et que cela a des conséquences, a rendu possible la mise en pratique d’une solidarité active et combative avec un discours clair et sans ambigüités. L’idée–force “ni coupables, ni innocent-e-s, simplement anarchistes” a reflété et reflète notre position face à la taule et à la répression, aussi bien pour nous qui sommes à l’intérieur que pour les personnes solidaires ou réprimées dehors. Cela signifie une manière de vivre et d’être en prison liée à l’intransigeance, en même temps que cela ouvre d’innombrables chemins d’action pour les compagnon-ne-s dans la rue, des chemins qui tentent de détruire le pouvoir en n’entrant pas dans ses catégories et en s’opposant à sa logique prédatrice.
*Quand les coups reçus représentent une opportunité.*
La vague répressive qui s’est matérialisée avec les opérations Pandora et Piñata a représenté le coup le plus dur asséné à l’anarchisme sur ce territoire depuis les années 80. On a clairement essayé d’éliminer un secteur du mouvement anarchiste par la voie rapide, à travers le harcèlement, les poursuites judiciaires et la taule. Evidemment, l’ampleur de cette gifle de l’Etat a eu ses conséquences, il ne pouvait en être autrement. De nombreuses initiatives ont été retardées, des espaces ont été littéralement dévastés par la furie répressive, et la peur de se voir incriminé-e dans les fantasmes paranoïaques du pouvoir a généré un certain immobilisme qui commence petit à petit à être dépassé.
Pourtant, à notre avis, la théorie policière s’est montrée si grossière et inconsistante dans ces affaires, que ce coup représente une opportunité pour pointer les faiblesses de l’Etat qui utilise ses stratégies classiques d’enfermement et d’intimidation pour tenter de réduire et d’éliminer celles et ceux qu’il ne parvient pas à domestiquer. Parallèlement à cela, nous pensons que ces opérations sont intimement liées à la montée des mouvements citoyens et à leur incorporation dans les institutions ; la taule attend celles et ceux qui refusent de jouer le jeu démocratique. Ainsi, à l’heure d’aborder ce qu’ont signifié ces coups et de mettre en œuvre la solidarité, nous pensons qu’il est indispensable de comprendre que les mouvements citoyens transformés en partis politiques, en optant pour la voie institutionnelle, ne représentent en aucun cas un allié, mais qu’ils constituent bien plutôt un engrenage supplémentaire du pouvoir avec lequel nous n’avons rien à voir.
Comme cela a été dit en diverses occasions, par le biais des opérations Pandora et Piñata, l’Etat a essayé d’attaquer des idées et des pratiques qui lui sont radicalement opposées, la preuve en est qu’aucun-e des compagnon-ne-s inculpé-e-s n’est accusé-e d’actions concrètes [mais uniquement de délits associatifs]. Ce qui doit être puni, c’est une manière de vivre, un choix de lutte contre l’ordre établi et une activité antiautoritaire constante qui a, dans une plus ou moins grande mesure, influencé divers espaces et environnements. Continuer à emprunter les chemins de rupture signifie donc une petite victoire en démontrant que même si l’Etat nous montre son pire visage, il ne nous fait pas plier. Nous pensons ainsi que la solidarité avec les personnes en butte à la répression doit nécessairement être transgressive et offensive, loin de tout discours pessimiste et victimiste. L’utilisation de toute notre créativité, uniquement limitée par nos principes anarchistes, est fondamentale dans l’activité solidaire et pour que nous sortions renforcé-e-s de cette expérience. Dans la guerre contre la domination, toute action est nécessaire.
Enfin, nous voulons envoyer toute notre affection et notre force aux compagnon-ne-s emprisonné-e-s en Allemagne, accusé-e-s d’un braquage de banque et qui doivent affronter un dur procès pendant des mois. Il et elle sont constamment dans nos pensées et la fierté et la joie dont ils font preuve sont également les nôtres, du fait d’avoir la possibilité d’être vos compagnon-ne-s.
Aujourd’hui et toujours, une main tendue avec le/la compagnon-ne, et un poing fermé contre l’ennemi.
Mort à l’Etat et vive l’Anarchie.
Mónica Caballero S.
Francisco Solar D.
Prison de Villabona – Asturies
2 février 2017
[Traduit de l’espagnol de contrainfo par brèves du désordre, 10 Marzo 2017]