Archives de catégorie : Critiques & réflexions

[Publication] Bien que les ennemis de la liberté en remettent une couche …

birdsCes derniers jours, on a pu entendre que deux nouveaux camps ou prisons doivent être réalisés dans Bâle ou ses environs. A Muttenz, un centre d’identification de migrants doit d’ores et déjà être mis en service début 2016 et y interné jusqu’à 900 migrants, ce qui en fera le plus gros centre fermé de Suisse. Les personnes doivent séjourner dans le centre au maximum 3 semaines afin d’y être ficher, avant qu’elles ne soient répartis dans les cantons pour l’étude de leur demande d’asile. Le camp de Bässlergut, qui sert aussi bien à expulser qu’à enfermer, doit être agrandi d’ici 2019 après restructuration. La nouvelle prison ouvrira 78 nouvelles places. Les 43 places qui existent déjà à Bässlergut et qui servent actuellement comme cellules pour de courtes détentions seront alors de nouveau utilisées comme centre d’expulsion. Par ailleurs, un centre d’asile régional qui, par la centralisation des institutions compétentes, permet un accès aux renseignements plus rapide et des expulsions plus performantes, doit être construit à l’avenir dans la région. Depuis 2014, cette nouvelle forme de politique d’enfermement est testée à Zurich. De tels camps ou centres de rétention continuent de s’étendre dans toute l’Europe.

Cette élargissement du contrôle et de l’enfermement au niveau local peut dans une plus large mesure être observé sur le plan international : en Italie et en Grèce, des hotspots ont été érigés afin que les migrants considérés comme un problème puissent être déjà malmenés à l’extérieur des frontières. Les hotspots qui sont coordonnés par différentes autorités policières et de gardes-frontières de l’Europe représentent une énième mesure en matière de gestion répressive et de contrôle des flux migratoires. Ainsi, l’enregistrement (qui constitue une mesure énorme et importante pour le régime migratoire européen) se fait déjà à travers les relevés d’empreintes digitales, de photos et de saisie dans la banque de données ‘Eurodac’ et ceux qui n’ont pas la chance d’obtenir l’asile, puisqu’ils ne bénéficient pas du statut de réfugiés, sont triés lors des rafles. Le recensement systématique dans les fichiers ainsi que le tri des différentes personnes – ce qui est exactement la même chose que le centre d’identification à Muttenz – est, en même temps, l’objectif d’une telle mesure. Les Hotspots aux frontières extérieures de l’Europe s’ajoutent aux dénommées zones « tampon » dans les pays avoisinants, qui doivent empêcher les migrants de poursuivre leur voyage vers l’Europe en protégeant les frontières et en construisant de gigantesques camps. En contre-partie et en plus du versement d’une certaine somme, l’Europe prendra en charge un certain nombre de migrants de ces pays. Un accord a déjà été signé avec la Turquie, cet Etat de merde qui combat les mouvements progressistes, s’acharne sur les résistants de tous bords et soutient les fanatiques de DAESH ; un accord de ce type doit être signé avec la Libye. Dans les eaux libyennes, la deuxième phase du programme de l’UE « NAVFOR Med », qui autorise à détruire les bateaux de passeurs, a débuté en septembre 2015 avec la mobilisation de 6 bateaux de l’armée et de 1200 militaires jusqu’à présent. Puis dans la troisième phase, les militaires sont censés aussi de pouvoir faire la guerre aux bateaux et aux infrastructures sur le sol libyen.

La liste est déjà longue et ce serait d’emblée possible d’exposer d’autres exemples de cette guerre menée contre les migrants, qui provoque déjà la mort de milliers de personnes. Malheureusement, cette guerre menée dans le tout jeune 21ème siècle n’est pas la seule, et ainsi se succèdent les lois de surveillance dans différents pays, les nouveaux armements de la police et de l’armée, les constructions de différentes prisons dans toute l’Europe et les villes qui se transforment en prisons à ciel ouvert, la même répression offensive des puissants qui augmente contre celles et ceux qui résistent. Une guerre, qui est devenue si banale qu’il n’est plus nécessaire de l’expliquer, doit assurer la domination des privilèges établis sur tous les fronts en resserrant les mailles de la société de contrôle. Chacun à sa place, fiché et examiné à la loupe, afin que le pouvoir ait assez de moyens au moindre petit signe de perte de contrôle ou d’évasion de ses rangs pour rétablir l’ordre le plus rapidement et le plus efficacement possible ou de mettre les éléments perturbateurs hors d’état de nuire.

De plus, on peut parler des tendances nationalistes qui se renforcent partout, de la répression militaire des émeutes dans les banlieues des villes des USA ces dernières années, des contrôles en augmentation jusqu’à prendre des proportions incommensurables, l’état d’urgence en France, l’état d’une planète polluée au plus haut point, l’immersion grandissante des technologies dans nos têtes et dans nos vies, l’ignorance et l’acceptation qui se diffusent à vitesse exponentielle et de manière effrayante… un petit avant-goût des temps sombres. Peut-être. Les voies dans cette direction ont déjà été annoncées, mais elles sont bien évidemment déjà appliquées. L’avenir pourtant, s’il est incertain car le capitalisme a d’ores et déjà déployés ses tentacules toxiques, s’ouvre à nous malgré tout. Ceci réside peut-être lorsque bouillonnent la passion dérangeante d’une vie libre et d’un besoin enflammé d’insurrection, de se débarrasser de ce monde macabre de guerre et de mépris de la vie, de tristesse et de haine, de créer un monde de solidarité et d’entraide, de faire place au respect et à la dignité, mais également au début de la fin de cette civilisation capitaliste, qui n’a pas plus besoin de rendre les gens étrangers, d’absurdités factices et virtuelles que de misère et de destructions.

Bien que les ennemis de la liberté en remettent une couche et qu’un nouvel orage s’élève à l’horizon, déjà couvert de nuages sombres, il s’agit d’affirmer encore plus fort et d’hurler que les camps et les prisons, le racisme et les guerres, la persécution et l’oppression sont des composants solides d’un monde construit sur l’autorité, que l’Etat est depuis toujours l’ennemi de ceux qui reprennent eux-mêmes leurs vies en main et qui ne veulent pas la déléguer à des fous. Il s’agit de réaffirmer que cette machine doit être arrêtée, que seule une rupture profonde avec la société actuelle nous ouvre des possibilités d’expérimenter la liberté et l’auto-détermination, la seule possibilité d’une véritable paix.

Quelques anarchistes en conflit avec toute domination

Solidarité avec l’attaque contre Siemens à Bâle :

La mort des uns est le profit des autres. Pendant que la guerre se prépare à tous les niveaux et s’intensifie, ça signifie aussi que les entreprises et institutions flairent les avantages et les profits. Toutefois, des perspectives s’ouvrent aussi ici sur la façon dont cette misère peut être combattue : les différents responsables et profiteurs des camps et des politiques d’expulsion (bureaux administratifs à l’immigration, flics, ORS AG, Securitas, ISS, Swiss) peuvent être directement attaqués, la construction de de nouveaux camps et de nouvelles prisons, comme c’est justement le cas pour Bässlergut II à Bâle, peuvent être empêchés et sabotés. Car s’impliquer dans les structures démocratiques semble être une mauvaise blague, être conformes et serviles quand cette machine de guerre doit être détruite ici et maintenant
Alors, dans la belle nuit du 7 décembre 2015, une voiture de ‘Siemens’ a été livrée aux flammes. Cette entreprise, présente sur différents fronts de guerre dans le monde entier, participe aussi au repli de l’Europe.
Les inconnus appellent par ailleurs « à saboter cette guerre des dominants ».

[Traduit de l’allemand de ausdemherzenderfestung, 15. Januar 2016

[Publication] De l’incompabilité

S’il est sans doute souvent plus confortable de se taire, certaines silences peuvent aussi devenir insupportables. C’est pour cela que malgré tout, nous avons préféré de prendre la parole.

Comme vous, nous avons vu qu’il y a trois initiatives dans trois differents villes italiennes où quelques compagnons de Bruxelles viendront parler sur la lutte contre la maxi-prison. S’il s’agit d’une lutte spécifique dans un espace déterminé, il est vrai que la question peut possiblement concerner tous les anarchistes et d’autres revoltés, aussi au-délà des frontières étatiques. Depuis le début de cette lutte, il y a eu en effet des anarchistes d’un peu partout qui s’y sont intéressés, qui l’ont defendu, qui y ont participé de differentes manières. Cela n’est pas juste une petite chose en plus, cette dimension internationaliste s’est vraiment enracinée dans la projectualité même de cette lutte. Et au-délà du fait si le conflit se déroule autour de la construction d’une maxi-prison, d’un aeroport, d’une mine d’or ou si c’est une révolte qui vient enflammer les rues des metropoles ou les sentiers des campagnes, c’est la question de la projectualité insurrectionelle qui pourrait être au coeur des échanges entre compagnons, et cela à un niveau international.

Pour autant que cela nous réjouit que des compagnons d’ailleurs organisent des initiatives pour discuter sur cette lutte, que des compagnons impliqués dans la lutte prennent le temps pour voyager et porter le debat bien loin de la capitale belge, il y a quelque chose d’amer qui nous est resté dans la gorge. Et on écrit cette lettre pour en parler.

Partout où des anarchistes sont en lutte, des problématiques assez difficiles se posent. Quelle projectualité derrière la lutte? Comment défendre l’auto-organisation et l’autonomie de la lutte face aux courants politiques, aux récuperateurs, aux autoritaires? Comment faire face à la repression qui cherche à isoler les éléments les plus incontrôlables? On a eu l’occasion de les affronter lors de cette lutte à Bruxelles et on aura sans doute encore l’occasion dans l’avenir. Comme quand les compagnons n’ont pas arrêté d’insister sur la nécessité de l’attaque et de l’hostilité envers l’Etat et les institutions, aussi aux moments où les journalistes ont fait planer le spectre du terrorisme sur cette lutte, quand les citoyennistes et d’autres se sont publiquement distanciés des actions directes, quand la répression est venue toquer à la porte. Comme quand les copains en lutte contre la maxi-prison ont envoyé chier les petits politiciens qui voulaient s’aggriper à l’agitation autonome qu’on développe dans les bas-quartiers de Bruxelles, quand les journalistes ont été envoyés chier, quand ceux qui rêvaient peut-etre de transformer cette bataille en petit bras-de-fer entre militants politiques et responsables institutionnelles ont été envoyé ballader. Ce sont des moments qui vont marquer une lutte, qui déterminent même son caractère insurrectionnel et anti-institutionnel, qui peuvent la rendre irrecuperable et incontrôlable.

Mais tout ça sera sans doute mieux abordé lors de ces soirées de discussion. Ce qui ne sera peut-être pas abordé par contre, c’est de se demander si les modalités requises pour un tel échange, un échange sur les perspectives d’une projectualité insurrectionelle et autonome, sont en effet réunies là où ces débats ont lieu. Tout comme on ne peut pas parler de liberté à l’ombre d’une église, il est difficilement imaginable (sauf qu’à couteaux tirés) de parler de conflictualité permanente à l’ombre de pratiques de conflictualité alternée (“mort aux flics” un jour, “l’incolumnité” pour les indicateurs le lendemain; la “solidarité avec les compagnons incarcerés” un jour, l’accueil silencieux du “soutien” de magistrats et prêtres apres-demain; l’hostilité envers les institutions un jour, les alliances avec des forces para-institutionnelles le lendemain;…). Des erreurs peuvent être commises, des mauvais évaluations peuvent être faites, mais si on en discute, cela doit être pour les dépasser définitivement, par pour les théoretiser comme faisant partie de l’arsenal de méthodes de lutte anarchistes et les justifier (dans le passé, le présent et donc tragiquement l’avenir).

Cette conflictualité alternée, qu’on a cru voir se repandre en Italiedepuis quelques temps, est à mille lieux de ce que cette lutte contre la maxi-prison essaye de faire. Alors, effectivement, peut-être des débats pourraient créer des ouvertures pour jeter une fois pour toutes à la poubelle les pratiques de politiciens qui ont envahi le mouvement anarchiste, l’abandon de l’éthique en faveur de la strategie, la calomnie et la menace plutôt que le débat critique. Ce sera réellement magnifique et incroyable si une modeste expérience telle que la lutte contre la maxi-prison pourrait apporter des éléments à ce fin. Ce serait une démonstration que les projectualités autonomes et insurrectionnelles ne connaissent pas de frontières, qu’elles peuvent se rencontrer et se renforcer, se soutenir et s’entre-aider. Mais est-on sûr de pouvoir faire ça au milieu d’histoires loin d’ être définitivement adressées (dans le bon sens) de dissociations d’actions directes, de l’échec total et éclatant de la stratégie politique adoptée par certains anarchistes à differentes occasions et la perte de leur âme même qui en suit fatalement, de l’insupportable danse macabre d’alliances politiques, de jeux de représentation, de délegation operationnelle?

Alors, si le choix ne peut pas etre celui de la résignation, si on ne peut pas juste se dire “mais laisse pisser et continue ta route”, si on n’a pas envie d’aller participer à de tels debats dans des endroits où, par volonté ou pour omission ou par comodité, semble plutot être porté le contraire de
ce qu’une lutte comme telle contre la maxi-prison cherche à expérimenter, le silence n’a pas non plus été une possibilité.

Qu’il soit clair que nous ne sommes pas du tout de l’avis qu’il serait érroné de vouloir porter le debat sur les methodologies de lutte et les perspectives anarchistes partout. Bien au contraire, c’est tant mieux. Peut-être cette lettre peut alors être lue comme une contribution à a ce débat.
Mais on ne saurait accepter sans broncher qu’il y en a qui pratiquent la conflictualité alternée et le jeu des alliances se saissisent d’une expérience de conflictualité permanente et d’autonomie comme s’il s’agissait de la meme chose, compatible et complémentaire. Comme si, en Italie comme ailleurs, il n’y aurait pas toujours des compagnons, aussi peu nombreux soient-t-ils, aussi défavorables puissent être les conditions de l’affrontement, pour qui les fins et les moyens doivent coincider, pour qui l’éthique anarchiste n’est pas alternable, pour qui l’autonomie n’est pas sacrifiable sur l’autel de la quantité et des potentiels applaudissements.

Car justement, il y a des luttes et des expériences en cours, et sous en certain aspects la lutte spécifique contre la maxi-prison à Bruxelles en peut être un exemple, qui démontrent que pour dévélopper une lutte insurrectionnelle (avec d’autres rebelles et revoltés qui ne sont pas des anarchistes), il n’y a aucun besoin de laisser nos idées et nos méthodes de lutte à la porte d’entrée de l’occupation, de la vallée, des mines, des forests, des quartiers. Dans ces temps obscures, ce sont certes des points de débat importants pour les anarchistes qui n’ont pas abandonnée l’idée de la révolution sociale. La quantité ne doit jamais l’emporter sur la qualité. Et la récherche de la qualité ne nous empêche en rien d’intervenir dans les rapports sociaux sur lesquels la domination est basée. Avec un peu de bonne volonté et le rejet radical de la politique, certains fausses oppositions qui gangrènent le développement d’une perspective révolutionnaire anarchiste n’aurait plus lieu d’être.

Mais il existe des fossés qui sont infranchissables. Celui qui s’y aventure quand même, fait un salto mortale. C’est un salto mortale de croire que éthique et stratégie peuvent aller ensemble. C’est un salto mortale de croire que hommes de pouvoir (politiciens, magistrats, représentants du savoir universitaire, chefs d’organisations politiques, experts, élus, prêtres,…) et autonomie de lutte sont complémentaires. C’est un salto mortale de croire que la conflictualité permanente n’exclut pas, toujours et partout, quelconque dialogue avec le pouvoir, aussi insidieux et camouflé qu’il soit. C’est un salto mortale de croire que la pratique du sabotage réquiert l’approbation d’une quelconque assemblée ou la légitimation par un Mouvement. Ces saltos mortales sont des poignards plantés au coeur de l’anarchisme, et on ne devrait pas se fatiguer de s’en défendre.

Quelques absents

[Reçu par mail, 17 janvier 2016]

Sans fleurs ni couronnes

« Les mots n’ont pas de valeur en soi, mais pour le sens qui leur est attribué. Il faut donc toujours bien se mettre d’accord sur le sens des mots utilisés, et faire attention à ce que des gens sans scrupules ne fassent pas usage des mots qui ont le plus de popularité, à travers lesquels ils font passer sous une fausse étiquette la marchandise avariée de leurs propres intérêts économiques et politiques. »

Max Sartin, La magia e il senso delle parole, 1935

I. Autonomie

Chacun sait que le langage n’est pas neutre. Que c’est un moyen souvent insatisfaisant pour exprimer ses idées. Pourtant, si on veut pouvoir les communiquer à d’autres et en approfondir le contenu, il vaut mieux s’entendre sur le sens des mots. Dans les milieux anti-autoritaires comme ailleurs, cela va de moins en moins de soi. Une même idée, courante, emprunte même parfois des significations si éloignées les unes des autres (en assemblée par exemple), qu’on en vient à se demander s’il s’agit juste d’une banale incompréhension ou si ce n’est pas la manifestation d’une confusion généralisée en progrès constants. Prenons parmi tant d’autres le mot « liberté« , régulièrement transformé en conquête ou préservation de droits garantis par l’Etat (comme la fameuse « liberté de« ) ou exprimé sous forme d’oxymore (comme dans la défense du « marché libre » des biffins). Mais la liberté peut-elle vraiment être quelque chose de quantifiable, le synonyme abstrait d’une augmentation des choix possibles, ou n’est-ce pas au contraire l’expression de toutes les possibilités différentes qui peuvent se déployer dans le rapport avec les autres  ? La liberté ne peut pas être enfermée à l’intérieur de lois et de règles valables pour tous, elle peut seulement naître du libre accord entre individus, en l’absence donc de tout système ou rapport autoritaire (Etat, capitalisme, religion, patriarcat).
Que le langage ne soit pas neutre, ne soit pas simplement descriptif, les autoritaires en tout genre l’ont compris depuis longtemps. Celui qui contrôle le sens des mots peut s’assurer d’une capacité considérable de maîtrise des esprits. Le pouvoir a ainsi toujours cherché à leur donner le sens qui l’arrange, qu’on songe par exemple à celui de terrorisme, qu’il dégaine d’un jet ininterrompu et à tout va depuis bien trop longtemps*. Partout où il y a une masse à manoeuvrer (ou une illusion de), on peut retrouver cet art de la politique qui consiste à travestir les faits en changeant les mots, y compris donc dans le soi-disant mouvement anti-autoritaire où les idées gauchistes font un retour en force depuis quelques années.
Dans leur miroir déformant, réduire les individus à leur couleur de peau n’est ainsi plus du racisme, mais devient une lutte contre les privilèges. Justifier la soumission à un code de loi gravé dans un vieux bouquin n’est plus une manifestation par excellence de l’autoritarisme (à combattre), mais devient une simple manifestation culturelle (à soutenir) ou une banale opinion (à tolérer). Jeter des pierres sur des journalistes ou des élus en toute occasion ne signifie plus manifester son hostilité irréductible avec le pouvoir, mais devient un manque d’intelligence tactique dans la composition avec lui. Dans la vague actuelle de renversement des contenus et de leur instrumentalisation au sein du mouvement, il n’est alors pas étonnant que même des concepts jusqu’à hier chers à beaucoup, comme l’autonomie ou l’auto-organisation, soient à leur tour vidés de leur sens par leurs partisans mêmes, neutralisant leur force pratique et les privant de leur portée potentiellement subversive. Faute de perspective révolutionnaire, au nom du pragmatisme ou de l’efficacité, de l’élargissement ou de l’ancrage sur un territoire, par esprit de grégarisme ou d’adaptation à un existant toujours plus trouble, l’heure semble de moins en moins à la diffusion de pratiques anti-autoritaires, et toujours plus à leur dilution au sein d’alliances de circonstance avec des politiciens de service (mais dans le respect de la diversité de chacun, hein  !).
Et c’est peut-être comme cela, petit à petit, que l’éditeur officiel de tout un ramassis d’ordures a pu soudain se transformer en une opportunité à saisir pour d’anciens amateurs de la guerre sociale.

II. Le sens plutôt que la règle

«  Forger et utiliser ses propres moyens de lutte placerait-il de fait en-dehors du champ des luttes sociales  ? C’est le discours que tiennent l’Etat et ses relais directs car ils défendent leurs intérêts…  »

Kalimero Paris, février 2008

En matière d’autonomie et d’auto-organisation, prenons le dernier cas d’école en date, à savoir les « membres » d’un collectif francilien qui participent « à des luttes ou à des mouvements sociaux« , et qui ont décidé de commercialiser leurs travaux en janvier 2016 chez Syllepse, une maison tolérante dont l’ouverture d’esprit avait été jusque là trop négligée par une partie du mouvement. Certes, prôner l’auto-organisation et la critique de la marchandise tout en alimentant de ses analyses les étals des supermarchés n’est pas nouveau, et ils n’ont pas beaucoup de mérite. Les stratèges blanquistes de la composition avaient déjà rouvert cette voie fructueuse avec l’éditeur de flic et de juge La Fabrique en 2007, avant que des vendeurs de mauvaise soupe ne les imitent en 2014 avec leurs trajectoires alternatives débitées chez l’éditeur du Mieux vaut moins, mais mieux de Lénine (ed. l’éclat). Mais tout de même, si des critiques du langage et de l’idéologie de la procédure pénale ont fait le choix d’un éditeur comme Syllepse, qui avait publié en 2011 un ouvrage coordonné par une magistrate dénonçant une « politique qui échoue à lutter contre la délinquance et qui désorganise la police et la justice » avant de suggérer « de nombreuses propositions alternatives en matière de fichage et de vidéo-surveillance » **, c’est qu’il doit bien y avoir une raison ou une cohérence quelque part. D’autant plus que leurs réunions se déroulent depuis des années dans un local dont les participants affichent justement leur ambition de « subvertir les rapports sociaux,c’est-à-dire remettre en cause cette société et la renverser« , à travers une « autonomie » définie comme une manière de s’organiser « hors des syndicats, des partis, des structures hiérarchiques« .

Afin de lever toute ambiguïté et pour ne pas en rester sur ce qui relève manifestement d’un télescopage malheureux au sein des collections de Syllepse -un peu comme si l’auteur d’un bouquin titré Mort à la démocratie donnait une interview à une grande radio d’Etat pour en faire la promotion-, faisons donc un rapide tour du propriétaire. Pour commencer, on pourrait consulter la quarantaine d’ouvrages de la Fondation Copernic publiés ces quinze dernières années par l' »alter-éditeur, engagé et non partisan« , mais aucun estomac n’y résisterait bien longtemps. Et de toutes façons, pour connaître les idées professées par ladite Fondation, inutile de se plonger dans l’écoeurante mixture qui mijote sous la bannière de « l’anti-libéralisme ». Le parcours de ses présidents successifs (1998-2015) suffira amplement  : Yves Salesse (ex dirigeant national de la LCR, ex du cabinet du ministre communiste des transports Gayssot, ex porte-parole de Bové à la Présidentielle), Évelyne Sire-Marin (vice-présidente du TGI de Paris, ex Présidente du Syndicat de la magistrature et soutien de Mélenchon à la Présidentielle), Roger Martelli (membre du Parti communiste et ex de son Comité central), Caroline Mécary (ex conseillère régionale EELV et toujours conseillère de Paris), Janette Habel (ex du bureau politique de la LCR et signataire du Mouvement pour la sixième République), Pierre Khalfa (ex porte-parole de l’Union syndicale Solidaires et membre du Conseil scientifique d’Attac). N’en jetez plus, la poubelle déborde  !
La « forme grammaticale qui privilégie les accords fondés sur le sens plutôt que sur la règle« , à laquelle Syllepse a emprunté son nom, a certainement trouvé avec la Fondation Copernic un accord à la hauteur de ses ambitions  : être l’éditeur privilégié d’un des principaux laboratoires de la main gauche de l’Etat. Le genre de laboratoire indispensable pour redorer la façade craquelée du pouvoir, tenter d’éteindre les incendies qui couvent à sa base et imaginer comment lui assurer un semblant de légitimité sociale en temps de restructurations économiques. Tout de même, drôle d’endroit pour une Caisse d’auto-défense collective. A moins que ce ne soit leur désir commun de mouvement social et de collectif qui les ait réunis, puisque l’éditeur précisait dès son Manifeste de juin 2004 vouloir offrir « une caisse de garantie qui permet à tous nos auteurs de mener leur projet à bien et une caisse de résonance pour leurs idées« , ou encore que « notre force tient aussi à notre lien avec les mouvements sociaux« . Mais le problème, quand on nie à ce point l’individu, c’est qu’on finit très vite mal accompagnés,

Oublions donc vite fait cette collection particulière, Notes et Documents de la Fondation Copernic, et tentons de trouver un peu d’air frais du côté des dizaines d’autres collections du nouveau venu dans l’ex mouvance autonome. Là, surprise ou pas, on tombe sur des spécialistes de la vie des autres (dont des psys en tout genre), des prêcheurs d’Etat (universitaires ou de lycée) et autres autoritaires historiques (avec une prédilection pour les auteurs trotskystes, dont les 944 pages du boucher de Kronstadt parues en avril 2015 pour rappeler l’importance du front unique antifasciste***). Les autres collections remarquables de Syllepse se nomment par exemple ATTAC, Contretemps (revue dont le n°14 de 2012 contenait cet immanquable article titré « Syriza ou l’espoir retrouvé« ), Espaces Marx, Les Cahiers de Critique Communiste, Mille marxismes (avec ces magnifiques « La politique comme art stratégique » et « Le dernier combat de Lénine » de 2011 et 2015) ou encore Séminaire marxiste… Réconcilier la rigidité théorique du passé avec le meilleur du réformisme du présent, en voilà bien un projet qui semble avoir trouvé son marché, si on en juge par les centaines d’ouvrages sortis chez Syllepse depuis 1989. En même temps, c’est vrai qu’à force de fréquenter les allées du pouvoir, on se perd moins dans le dédale de ses financements.
Mais comme il serait ingrat de demeurer en si mauvaise compagnie sans faire un détour par LA collection qui se veut un peu plus terre-à-terre, jetons un dernier coup d’oeil sur Arguments et Mouvements, dont le postulat est que les « acteurs du mouvement social et les mouvements sociaux produisent des idées, émettent des propositions, interprètent le monde et agissent sur lui » (merci pour eux). Des idées et des propositions qu’il aurait en effet été trop bête de gâcher en ne les récupérant pas au sein des différents rackets de la gauche de la gauche. Mais qu’on se rassure, la conception du mouvement social de Syllepse n’a même plus de quoi incendier un Palais d’Hiver, et va au mieux réclamer quelques miettes tout en pacifiant le rapport capital/travail  : on retrouve pêle-mêle dans cette collection qui vient donc d’éditer Face à la police/Face à la justice de la Caisse d’auto-défense collective de Paris/Banlieue (Cadecol), des livres signés Syndicat Solidaires des finances publiques, Syndicat national des chercheurs scientifiques, Syndicat National Unifié des Impôts, Sud-Étudiant ou encore VISA (« association intersyndicale unitaire composée d’une cinquantaine de structures syndicales  : la FSU et plusieurs de ses syndicats, l’Union syndicale Solidaires et plusieurs de ses syndicats, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF et le Syndicat de la magistrature« ).
Arrivés à ce stade, on se dit que, franchement, ce n’est pas juste un mauvais hasard ou de la naïveté, mais un véritable choix tactique qui a fait s’accoupler dans un ballet abject le livre de la caisse des autonomes franciliens avec (notamment) celui de la vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, grâce à un éditeur commun qui annonce clairement ses intentions  : « nos livres parlent séparément mais frappent ensemble » (à la porte des institutions), parce que leurs multiples langues débouchent « vers des compréhensions communes, vers une langue partagée, vers un sens commun, vers des «  tous ensemble  » de la pensée et de l’action« .

III. Les moyens de leurs fins

Dans son court texte de présentation technique, Cadecol se définit comme un outil à « utiliser de manière autonome afin se donner en amont les moyens de s’organiser le plus efficacement possible contre la répression« . Si ce collectif apporte à son tour sa petite pierre pour vider à sa manière le mot autonome de la charge subversive qu’il pouvait encore contenir -comme d’autres l’ont fait avant lui-, ne peuvent pourtant rester surpris que celles et ceux qui s’étaient arrêtés au début de la phrase. Car que peut bien vouloir dire une expression aussi absolue que « le plus efficacement possible« , sinon déconnecter absolument les fameux moyens des fins  ? C’est un vieux truc qui permet de tout justifier au nom d’un intérêt commun supérieur (le maximum d’efficacité supposée… et donc l’art du calcul spéculatif), laissant le champ libre à une poignée de fins dialecticiens qui viendront nous éclairer du haut de leur clairvoyance. Le Comité invisible, qui en connaît un rayon sur le sujet, avait logiquement choisi de vendre sa soupe chez un fana de Lénine. La Caisse francilienne a choisi de son côté de se donner des moyens de s’organiser en amont en s’offrant à un fana de Trotsky. Une différence qu’on ne s’explique autrement que par la composition des assemblées du dit « mouvement social » selon les périodes et le sujet du moment (la CGT des raffineries, c’est pas le NPA des réfugiés).

Quant aux autres, tous les autres, pour qui la fin ne justifiera jamais les moyens, pour qui un éditeur de centaines de conseillers du prince restera toujours un ennemi à combattre plutôt qu’un allié provisoire à utiliser ou avec lequel s’accoquiner, pour qui s’organiser de façon autonome signifie s’associer entre individus révolté-e-s dans un espace de lutte anti-autoritaire où les mots et leur sens ne sont pas mutilés…
…l’horizon de la solidarité et de l’offensive sera toujours bien plus vaste et bien plus respirable que tous les marigots du plus efficacement possible.

Sans fleurs ni couronnes,
Bagnolet, début janvier 2016

* Car si le terrorisme signifie frapper dans le tas de manière indiscriminée pour tenter de préserver ou conquérir le pouvoir, et que l’Etat n’en a pas toujours le monopole exclusif, une affiche rappelait également fort à propos il y a quelques années à quel point ce terme avait été biaisé et restreint de manière instrumentale  : « Dans ce monde à l’envers, le terrorisme ce n’est pas contraindre des milliards d’êtres humains à survivre dans des conditions inacceptables, ce n’est pas empoisonner la terre. Ce n’est pas continuer une recherche scientifique et technologique qui soumet toujours plus nos vies, pénètre nos corps et modifie la nature de façon irréversible. Ce n’est pas enfermer et déporter des êtres humains parce qu’ils sont dépourvus du petit bout de papier adéquat. Ce n’est pas nous tuer et mutiler au travail pour que les patrons s’enrichissent à l’infini. Ce n’est pas même bombarder des populations entières. Tout cela, ils l’appellent économie, civilisation, démocratie, progrès, ordre public. »
(Qui sont les terroristes  ?, avril 2008)
** Selon le résumé promotionnel disponible sur le site de l’éditeur. Ficher, filmer, enfermer, vers une société de surveillance  ?, coordonné par Evelyne Sire-Marin, ed. Syllepse, février 2011
*** Une position toujours défendue par l’un des coordinateurs du livre de Trotsky et fondateur historique toujours en place de Syllepse, Patrick Silberstein, par ailleurs pétitionnaire multirécidiviste en compagnie d’élus de gôche, ex dirigeant de Ras l’Front et un des animateurs de la campagne.présidentielle de Bové.

[Publié sur indymedia nantes, 09/01/2016]

[Publication] Adresse aux zadistes

L’Etat s’appuie toujours quand il peut sur des complices locaux.

Tout d’abord, pour lever toute ambigüité, nous sommes solidaires avec les luttes avec occupation menées contre différents projets industriels et capitalistes qui, plus qu’aménager le territoire, contribuent à aménager nos vies. Nous sommes non seulement solidaires, mais nous y contribuons activement même si nous ne nous définissons pas comme zadistes.Toutefois, nous ne nous retrouvons pas toujours avec ce qui y est porté. C’est assez logique, étant donné la diversité des gens qui luttent. Nous passerons aujourd’hui sur la question de la composition et de la manière de composer, sur laquelle nous reviendrons peut-être plus tard. Nous avons décidé de rédiger cette première adresse dont le but n’est pas de donner des leçons que nous serions bien peu légitimes à tenir, mais de partager nos remarques, nos doutes et nos inquiétudes.

Ces derniers temps, la rage nous a évidemment saisis quand nous avons eu connaissance que des « pro-barrages » à Sivens, ou des « pro-Center parcs » à Roybon, se sont organisés contre les « zadistes » : barrer les routes pour empêcher l’arrivée de nouvelles personnes en lutte et réduire l’approvisionnement logistique, dégrader les véhicules des zadistes ou les cabanes des campements, menaces, insultes, agressions etc. Solidaires des gens sur place, les réactions et les discours de certains et certaines zadistes nous ont parfois laissés perplexes. A Sivens, certains et certaines s’indignaient que les flics ne s’interposent pas et ne protègent pas au moins les véhicules amis et les personnes. A Roybon, certains et certaines s’indignaient du fait que les gendarmes ne prennent pas le temps d’enquêter sur le site suite à un jet de molotov, alors que c’est le fait même qu’on les laisse pénétrer sur le site qui ne devrait pas être une évidence. Là-bas aussi, on soupçonnait en s’indignant que les flics aient laissé faire sans s’interposer…L’Etat se retrouve tout d’un coup relégitimé, appelé à s’interposer en casques bleus entre pro et anti et à arbitrer le conflit, à travers ses flics, ceux-là mêmes qui ont déjà frappé et n’attendent qu’un ordre pour raser les ZAD, ceux-là mêmes qui ont assassiné Rémi Fraisse il y a quelques mois. C’est une erreur de croire qu’il y a la FNSEA ou les petits patrons de Roybon d’un côté, et l’Etat, avec ses élus, ses services et ses flics de l’autre ; Vinci et Pierre et Vacances d’un côté, et l’Etat de l’autre. Il y a juste une unité d’intérêts convergents. Par ailleurs, les communautés rurales impactées par les projets ne sont pas des entités homogènes. Paraîtrait même qu’il y a des enjeux de classes, des hiérarchies, des emprises morales, matérielles, idéologiques, religieuses… Etat et capital trouvent des complices par intérêt ou adhésion idéologique. Il ne faut donc pas s’attendre à ne voir que des gens en uniformes nous faire face.

Etat et Capital avancent ensemble. Ces projets ne peuvent voir le jour qu’avec la complicité de l’Etat, mais au-delà avec son appui administratif, politique, financier et à travers des infrastructures qu’il est seul habilité à autoriser. Et au besoin, avec ses flics. Au Chefresne, qu’une ligne THT devait traverser, les flics ont délogé un propriétaire de son champ pour permettre à l’industriel RTE de continuer ses ravages, alors même que l’industriel en question n’en avait pas l’autorisation de la Justice, qui elle-même fermera évidemment les yeux… « Police nationale, milice du capital », « Justice, complice ». En l’occurrence, certains slogans tapent juste, mais à force de les répéter par réflexe, on ne prend plus acte de ce qu’ils signifient réellement.

Il est curieux qu’alors que tout devrait amener à prendre acte et assumer une lutte contre l’Etat et le Capital, l’Etat redevienne tout d’un coup une sorte d’entité neutre. Prendre acte, ça veut dire aussi essayer de s’organiser au mieux pour défendre la zone et les activités de lutte par nous-mêmes. Evidemment, la situation sur le terrain est compliquée, et l’autodéfense, c’est poser quelque chose d’ambitieux. Mais avons-nous véritablement d’autres choix ? Nous imaginons qu’il peut exister chez certains et certaines des stratégies médiatiques – « regardez comme les pros et l’Etat sont méchants, et nous gentils » – qui visent à légitimer la lutte, mais là encore c’est oublier le rôle des médias dans ces histoires, leur complicité avec les donneurs d’ordre, leur soumission idéologique et matérielle à l’ère du temps. Il nous semble plus pertinent de proposer des analyses et de riposter à partir d’une position claire d’opposition à l’Etat, plutôt que de lui redonner quelques couleurs, en passant en plus par une communication dont la critique serait tout aussi essentielle à faire, y compris au sein d’une presse « alternative » qui, plus elle se développe, moins sa dimension subversive nous paraît incarnée. Redonner vie ainsi à l’Etat, c’est succomber à l’idéal abstrait du citoyen, celui qu’on administre. Le citoyennisme radical, stade suprême de l’aliénation ?

Mais ce n’est pas seulement qu’Etat et Capital marchent ensemble. L’Etat s’est toujours employé à trouver des relais, des notables locaux, des franges réactionnaires, allant jusqu’à les laisser s’organiser en milices. Créer une situation pourrie est tout bénef pour lui. Laisser d’autres que lui faire le sale boulot aussi. Il favorise un climat de tension peu propice au développement du mouvement, maintient la pression et la peur sur les gens qui luttent, sème le doute chez certains et certaines quant à la légitimité de ces luttes. Ajoutons que les premiers à subir les pressions, que ce soient des flics ou de leurs substituts citoyens, ce sont les gens qui luttent et habitaient déjà là avant le début du conflit. Ce n’est pas une raison pour s’interdire de porter certaines positions ou de mener certaines actions, d’aseptiser ses activités de lutte, mais s’organiser ensemble c’est d’abord prendre conscience des réalités différentes de chacun et chacune, et essayer de dégager du commun sans taire les divergences.

L’Etat et les industriels s’appuient quand ils peuvent sur des populations locales.C’était déjà le cas lors de l’implantation de la centrale nucléaire de Flamanville, dans la Manche, de 1975 à 1977. Plusieurs sites en Basse-Normandie étaient alors en ballotage pour accueillir les bienfaits de l’atome. C’est finalement Flamanville qui a été choisi, moins pour des raisons techniques, que du fait de mobilisations immédiates d’oppositions sur les autres sites (dans le Calvados, des engins de chantiers avaient immédiatement cramé) et surtout du soutien d’une partie de la population locale. En effet, certains notables étaient acquis au nucléaire, depuis l’implantation de l’usine de retraitement de déchets nucléaires de la Hague à quelques dizaines de kilomètres. Même des curetons relayaient la bonne parole atomique. Mais surtout, à Flamanville, il y avait une population ouvrière qui avait perdu son boulot. Une mine de fer avait fermé ses portes quelques années auparavant. Evidemment, l’implantation d’une centrale a été vue d’un bon œil par une partie d’entre eux. La falaise dans laquelle ils plongeaient pour débusquer le fer allait laisser place à un chantier titanesque, puis à une centrale qu’il faudrait bien entretenir. Chantage à l’emploi. De fait, les opposants et opposantes, qui déjà menaient une occupation du site, ne se sont pas heurtés qu’à l’Etat et EDF, mais aussi à des citoyens locaux remontés et prêts à en découdre. Quoiqu’il en soit, les industriels et l’Etat choisissent les sites en fonction des mobilisations qu’ils rencontrent et des relais possibles au sein des populations locales.

Le site de Notre-Dame-des-Landes fait peut-être exception, du fait de sa longue histoire d’oppositions. Dans ce coin, il y a eu de nombreuses luttes dans le passé, des liaisons entre paysans et ouvriers de 68 aux luttes antinucléaires contre les centrales du Carnet et du Pellerin. C’est aussi pour cela que ça s’est « enkysté », comme dirait Valls. Mais ce n’est pas reproductible à l’identique partout, sans prendre acte des situations locales. Cela veut peut-être dire que ces luttes sont plus difficiles à faire vivre et surtout à étendre qu’on ne le croit. Mais qu’importe. Déjà à Chooz au début des années 1980, sidérurgistes et antinucléaires avaient compris qu’une hypothétique victoire (quelle victoire ?) n’était pas forcément le seul but d’une lutte. Leur mot d’ordre était « ça coûtera cher de nous foutre en l’air ». C’est aussi cette lucidité qui a parcouru la reprise de la lutte anti-THT dans la Manche, après le camp de Valognes de 2011. En l’occurrence, il semble bien que des documents internes des industriels concernés confirment un certain effet des sabotages et des diverses activités de lutte. Que cela se généralise, et les effets se feront d’autant plus sentir.

Caen. Mars 2015.
Laura Blanchard et Emilie Sievert.
blanchard.sievert[at]riseup.net

[Publié sur brèves du désordre, 2 avril 2015]

[Montréal, Québec] Retour sur la manif nocturne du 18 décembre 2015

Pas besoin d’une grève pour se révolter contre l’État : Réflexions sur la manif nocturne du 18 décembre

La nuit du vendredi 18 décembre, environ 150 personnes se sont rassemblées au centre-ville de Montréal pour une manifestation nocturne. Cette manifestation était la troisième d’une série entamée le 30 novembre et poursuivie le 9 décembre, constituant probablement la manif combative la plus réussie à Montréal depuis la grève étudiante de 2012. Le 18 décembre était vu comme une chance d’approfondir la combativité et le courage, qui nous a permis de nous réapproprier à la fois du temps et de l’espace la nuit du 9 décembre dernier.

L’appel disait : « La nuit nous appartient. La jeunesse emmerde le gouvernement, les riches et les fascistes, sans oublier les flics. La lutte ne fait que commencer, pas besoin d’une grève pour se révolter contre l’État. Cette manif sera aussi en solidarité avec les camarades emprisonné-e-s en Grèce et pour le Décembre noir. Contre les violences étatiques nous serons la réplique. Amour et Rage ».

L’excitation se répandant discrètement à travers la ville et l’approfondissement de plans stratégiques au cours de la semaine avaient fait accroître les attentes pour plusieurs d’entre nous. La foule réunie place Berri, moins nombreuse que nous espérions, avait cependant l’air plutôt bien préparée à y répondre.

Cette nuit, en revanche, a appartenu en grande partie à la police. Malgré les pierres et les feux d’artifice lancés en leur direction pendant l’affrontement final sur Ste-Catherine, on a permis aux flics de contrôler l’itinéraire de la manifestation à chaque carrefour clé et finalement d’entraîner la manif vers une zone géographique où il leur fût ensuite facile de disperser la foule à l’aide de gaz lacrymogènes et de charges anti-émeute. Alors que la foule était repoussée vers l’Est sur Ste-Catherine, les vitrines de la banque Laurentienne, de commerces du quartier gay gentrifié et d’au moins une voiture de police ont été fracassées, mais le caractère désespéré de ces attaques était bien loin du joyeux saccage ayant longé le boulevard René-Lévesque la semaine précédente.

ACAB

Malheureusement, l’aspect le plus mémorable de cette nuit fût probablement la présence de policiers infiltrés du SPVM dans la manif, certains habillés de leur risible interprétation du black bloc. Lorsqu’ils ont été dénoncés par des participant.e.s à la manif, ceux-ci ont répliqué brutalement à de nombreuses reprises en tabassant, arrêtant, gazant ou même en pointant leur arme à feu vers les individus ou groupes qui tentaient de les démasquer ou de les affronter. Ca faisait longtemps que les flics n’avaient pas tenté de manière aussi risible d’infiltrer une manif à Montréal, et nous y voyons une réponse directe à la popularité et à l’efficacité des tactiques black bloc du 9 décembre dernier. En envoyant des flics infiltrés aussi aisément identifiables dans des manifestations combatives et en s’attaquant aux participant.e.s, le SPVM énonce clairement ses buts (mis à part ceux de blesser et de terroriser ses ennemis) : générer de la méfiance envers les individus qui choisissent de se masquer pour se défendre contre la répression.

La police espère que l’on associe ceux et celles qui dissimulent leur identité à des agents provocateurs, créant ainsi un climat dissuadant l’adoption de tactiques black bloc et facilitant par le fait même le contrôle policier de la situation. Dans les heures qui suivirent la dispersion de la manif, des images et descriptions de flics infiltrés (voir ici, et encore ) se sont mises à circuler de manière virale sur les réseaux sociaux. Des manifestant.e.s pacifiques jouaient déjà le jeu des forces policières en défendant publiquement la thèse que les attaques envers les flics, effectuées par des anarchistes dans la nuit du 18/12 étaient en fait orchestrées par la police elle-même par le biais d’agents provocateurs qui (d’après cette logique) auraient mis en danger leurs collègues flics afin de se mêler à la foule et de justifier la répression policière qui s’en est suivi.

Revu et corrigé de Montréal Contre-information (Lire la suite / en anglais ici)

[Publication] Blanqui à Venaus

« La politique est l’art de la récupération. La manière la plus efficace pour décourager toute rébellion, tout désir de changement réel, est de présenter un homme d’Etat comme un subversif, ou bien – mieux encore – transformer un subversif en homme d’Etat. Tous les hommes d’Etat ne sont pas payés par le gouvernement. Ils existent des fonctionnaires qui ne siègent pas au Parlement et encore moins dans ses pièces adjacentes ; au contraire, ils fréquentent les centres sociaux et connaissent discrètement les principales thèses révolutionnaires. Ils dissertent sur les potentialités libératoires de la technologie, ils théorisent des sphères publiques non étatiques et le dépassement du sujet. La réalité – ils le savent bien – est toujours plus complexe que n’importe quelle action. »

Dix coups de poignard à la politique, 1996

Une rumeur circule depuis quelques temps parmi certains anarchistes d’Europe par rapport au dernier effort éditorial du Comité Invisible, auteur en 2007 du best-seller international L’insurrection qui vient. On raconte que les adhérents au Comité auraient partagé le brouillon du texte avec leurs amis politiques éparpillés ça et là dans le monde, pour en sonder les réactions et en tirer d’utiles conseils. Or, la première version contenait une dure attaque contre les anarchistes, coupables de ne pas être prosternés comme il faut face à eux (et d’avoir ricané devant la farce de Tarnac, où les présumés auteurs du livre, quand la police avait frappé à leur porte, s’étaient précipités dans les bras protecteurs de cette gauche à laquelle il faisaient la guerre jusqu’à la veille). Mais certains de leurs correspondants amis – depuis notre Beau Pays, dit-on – leur auraient suggéré d’éliminer les parties trop virulentes, d’adoucir le ton, parce qu’au fond, à bien y réfléchir, il y a encore beaucoup de services que ces idiots libertaires peuvent rendre. L’origine de cette rumeur est un anarchiste espiègle qui aurait apparemment pu lire l’ébauche originale du texte ainsi que la correspondance à son sujet. Ce sont les risques de la Commune et du partage des instruments, on ne sait jamais qui peut jeter un œil sur un ordinateur laissé allumé et sans surveillance !

Que cette rumeur soit vraie ou fausse, il y a quelques jours on nous a fait cadeau du nouveau livre du Comité Invisible, tout frais sorti de l’impression, publié en France à la fin du mois dernier. Il s’intitule À nos amis (politiques, ça va sans dire) et sa publication imminente et simultanée en sept autres langues est prévue, pour en favoriser la diffusion sur les quatre continents. Certains que l’Italie fera partie des pays chanceux, autant attendre d’en lire la traduction intégrale.

Mais alors, se demandera-t-on, pourquoi nous en parlons ici et maintenant ? Parce que grâce aux leçons du Comité Invisible, nous avons finalement compris à quel point la publicité n’était pas seulement l’âme du commerce, mais aussi celle de la subversion (enfin, du commerce de la subversion). De plus, si nous ne nous dépêchions pas de partager au moins quelques extraits de ce nouveau chef d’œuvre avec nos lecteurs, nous risquerions d’être confondus avec des bureaucrates d’Etat. Bref, voilà une avant-première, une sorte de scoop.

Savoir que choisir est facile, même trop facile. Les petits-enfants de Blanqui consacrent en effet quelques réflexions à l’Italie, et, plus précisément, à la lutte contre le TAV en Val Susa et à ses miraculeux effets. Voici ce qu’ils écrivent : « Il faut compter au nombre des miracles de la lutte dans le Val de Suse qu’elle ait réussi à arracher bon nombre de radicaux à l’identité qu’ils s’étaient si péniblement forgée. Elle les a fait revenir sur terre. Reprenant contact avec une situation réelle, ils ont su laisser derrière eux une bonne part de leur scaphandre idéologique, non sans s’attirer l’inépuisable ressentiment de ceux qui restaient confinés dans cette radicalité intersidérale où l’on respire si mal. […] En alternant les manifestations en famille et les attaques au chantier du TAV, en ayant recours tantôt au sabotage tantôt aux maires de la vallée, en associant des anarchistes et des mémés catholiques, voilà une lutte qui a au moins ceci de révolutionnaire qu’elle a su jusqu’ici désactiver le couple infernal du pacifisme et du radicalisme. »

Absolument ! En gentils animaux politiques, les petits-enfants de Blanqui pensent que le milieu le plus naturel et spontané où vivre serait le zoo. Qui n’y entre pas ou s’en éloigne s’auto-condamne à l’isolement, c’est-à-dire à mal respirer l’air vicié d’un scaphandre, dénotant d’un inépuisable ressentiment contre ceux qui respirent si bien le même air que les magistrats et parlementaires (et peut-être même que les délateurs et divers dissociés). L’admiration du Comité Invisible pour leurs apprentis libertaires ritals est presque émouvante, ces Victor Serge de chez nous qui ont enfin compris l’utilité stratégique de la conflictualité en courant alternatif chère depuis toujours aux autoritaires. Quel dommage qu’à polluer cet air convoité il y ait aussi « une fraction d’anarchistes qui s’autoproclame nihiliste » et qui en réalité « n’est qu’impuissante ». Des anarchistes qui identifient l’ennemi, se donnent des moyens et l’attaquent… brrr, quelle horreur, ce ne sont que des impuissants, c’est évident. Par contre, ceux qui s’acoquinent avec des maires, prêtres et stalinistes, ceux qui se font élire au conseil municipal comme les super fan de Tarnac du Comité Invisible, ceux-là bien sûr que…
Que quoi ? Mais oui, qu’ils ont compris comment vont les choses ! « Il n’y a pas d’espéranto de la révolte. Ce n’est pas aux rebelles d’apprendre à parler l’anarchiste, mais aux anarchistes de devenir polyglottes ». L’espéranto, cette nouvelle langue qui contient des éléments de toutes les langues, les englobe sans préférence en cherchant à les faire communiquer dans le respect de leur diversité, est une sotte utopie. Le moyen le plus pratique, immédiat, stratégique pour communiquer est de parler la langue des autres. L’anglais surtout, en affaires. L’autoritaire seulement, en politique.

Anarchistes, soyez polyglottes ! Arrêtez de miauler tous seuls à trois pelés et un tondu, aboyez et grognez en compagnie des chiens et des porcs ! Le lundi parlez l’humanitaire, le mardi le démocratique, le mercredi le journaliste, le jeudi le syndicaliste, le vendredi le juridique, le samedi le communiste, le dimanche – amen – le liturgique. Et à l’occasion, parlez le rebelle si vous voulez. Quant à la langue anarchiste, mieux vaut l’oublier entièrement.
De toute façon, soyons sincères, à quoi vous sert-elle ?

[22/11/14]

[Traduit de l’italien par non-fides de Finimondo.]

D’autres textes sur le même sujet:

La paix sociale est une chimère, même sous l’état d’urgence

Il est arrivé tranquillement

Il est arrivé tranquillement, un vendredi matin, et s’est dirigé vers l’ouest de Paris. Vers une zone saturée de poudre par un sommet international toujours en cours, et un état d’urgence en vigueur depuis bien trop longtemps déjà. Autour de lui grouillaient des hommes en uniforme, armes de guerre en bandoulière, et d’autres encore en civil, prêts à dégainer. Quelques dizaines de mètres plus loin, des ballets de berlines aux vitres fumées n’auguraient rien de bon pour tous les ennemis de l’intérieur.

Sur cette rue du Faubourg-Saint-Honoré, il n’y a pas de numéro 13, supprimé par la superstition bigote de l’Impératrice Eugénie, un ordre scrupuleusement respecté par toutes les Républiques suivantes, bien que l’Etat, la science et l’économie soient devenus les Dieux plus palpables des ordures qui en peuplent les sommets. Qu’importe, l’homme n’a cure de ces anecdotes, ce n’est pas avec l’histoire qu’il a rendez-vous, mais avec lui-même. Il poursuit son chemin jusqu’au numéro 72, encadré par deux petits sapins de Noël aussi faussement enneigés que ridiculement kitchs. Il sonne à une porte. On lui ouvre. Il sonne une seconde fois, et la deuxième porte réagit à l’identique. Quelques minutes plus tard, il marche à nouveau sur ce trottoir situé au coeur de la zone rouge la plus protégée d’un pays en guerre. Sa poche est un peu plus lourde. Légèrement plus lourde, mais lui seul peut s’en rendre compte. Il s’éloigne de ce quartier malfamé comme il était venu, tranquillement. Quelques mètres plus loin, les assassins assermentés de l’Elysée, de la résidence officielle de l’ambassadeur des États-Unis et du ministère de l’Intérieur continuent leur sale travail, imperturbables.

L’alerte est arrivée trop tard. Vers 11h, quatre vitrines de la bijouterie Chopard ont été délestées de leurs montres de luxe par un homme seul, « présentant bien » et « n’éveillant pas l’attention », au nez et à la barbe de tous les dispositifs de sécurité des rues alentours. Il y en a pour plus d’un million d’euros. Quelqu’un a allongé son bras – armé de détermination et d’audace – pour alléger une boutique de ses valeurs concentrées là en abondance. Des objets qui ne manqueront à personne, et font désormais de l’homme un des plus recherchés de la capitale, de cette capitale où rien ne doit plus se passer. Une semaine plus tôt, le pouvoir s’était vanté d’une baisse de 16% des vols et cambriolages en région parisienne depuis le 13 novembre. L’homme a peut-être souri en entendant ce chiffre. Ce n’est certainement pas lui qui contribuera à l’alimenter !

Une radio locale passe la nouvelle de façon intermittente, sur un ton à la fois scandalisé et effrayé. De l’autre côté des ondes, nul doute par contre que plusieurs auditeurs se sont réjouis pour l’inconnu à la détermination intacte. Quelques-uns, avec la rage au cœur et la liberté pour passion, se sont peut-être même demandés, à voix basse : et si, plutôt que de rester sur une position défensive en protestant (vainement) contre un état d’urgence voué à s’éterniser, il n’était pas plutôt temps de braver le terrorisme d’Etat en continuant à développer (fructueusement) nos activités subversives malgré cet état d’urgence ? Parce qu’avec un peu de fantaisie et d’imagination, tout est toujours possible pour les individus qui ne se résignent pas.

Paris, vendredi 11 décembre 2015

[Publié sur brèves du désordre, 12 décembre 2015]

Nancy: un lundi matin pas comme les autres – 23 novembre 2015

title-1448280758En plein coeur du centre-ville de Nancy, un lundi en milieu de matinée. Un homme seul, pourvu d’une masse et d’un sac en plastique, n’a fait que passer au centre commercial « Saint-Sebastien ». Plus précisément, il a fait un détour par la bijouterie « Histoire d’or », située au 1er étage d’un des innombrables lieux où se concentrent le fric et la marchandise. Arrivé en voiture par le parking aérien, il est passé incognito, en empruntant les escalators du centre, calme et serein. Sauf qu’en à peine deux minutes, il pulvérise trois vitrines dans lesquelles sont entreposées des bijoux en or: il se sert au milieux des cris des quelques commerçants et CONSommateurs présents, effarés par tant de détermination et d’audace. « Des commerçants criaient, appelaient au secours mais ça ne le perturbait pas. On ne voyait pas totalement son visage à cause d’une sorte de cache-col qui lui arrivait sous le nez. Il n’a rien dit mais frappait, frappait… » Il est reparti en marchant, comme il était arrivé, c’est-à-dire « comme tout le monde » mais avec les poches pleines sans être passé par la caisse…

L’Est Républicain, ce ramasse-crotte et lèche-cul des flics et des bourgeois qui ressasse chaque jour la propagande militariste et consumériste en ces temps d’état d’urgence, est sorti de ses gonds devant ce vol méthodique et plein de sang-froid: « Comment un individu porteur d’un tel outil a-t-il pu passer entre les mailles du filet tendu par les vigiles aux différents accès du centre, à l’heure où tout le territoire est placé en état d’urgence après les attentats de Paris ? ». Le journaflic en question, Alain Thiesse – qui se la joue enquêteur de comptoir – cherche à susciter peur et résignation parmi la population, comme le font les gouvernants en déployant partout des uniformes armés jusqu’aux dents. Cette crapule va plus loin en parlant de « braquage », cherchant à faire rentrer dans la tête du citoyen que ce malotru a agi avec « violence ». On ne lui rappelera pas la définition du mot « braquage », qu’il connaît très bien. Pour lui, ce ne sont pas seulement les trois vitres pétées qui caractérisent cette « violence », mais avant tout le casse en lui-même et le contexte dans lequel il a été réalisé: l’expropriation d’une sérénité remarquable, en plein jour, de cette marchandise du luxe destinée aux bourgeois, à l’heure où les travailleurs retournent au turbin, dans une période où l’Etat inonde les rues de bleus et autres gardiens du capital depuis le 13 novembre dernier, où le pouvoir assomme la population de l’idéologie patriotique… Pourtant, le casseur a agi à un moment où personne ne l’attendait, a pris par surprise les garants de la sécurité.

Ce magnifique coup à la barbe de la domination peut donner des ailes à bien d’autres. Il existe des brèches au sein de ce quadrillage policier et militaire des villes et métropoles dans lesquelles les insoumis et révoltés peuvent s’engouffrer.

En solitaire, préparé et déterminé, cet homme a montré que l’urgence à dépouiller les bourgeois était plus forte que l’Etat et ses lois scélérates. En espérant que les flics ne lui mettent pas le grappin dessus !

trois-vitrines-sont-tombees-sous-les-violents-coups-de-masse-assenes-par-le-casseur-du-saint-seb-photo-patrice-saucourt-1448319087

[Publication] Sortie d’Avalanche n°6, revue internationale de correspondance anarchiste

Les anarchistes se sont toujours appropriés des moyens pour faire des idées antiautoritaires et des luttes une matière pour alimenter le dialogue et l’action subversives. C’est en ce sens-là que cette publication se veut aussi un moyen et plus précisément, celui d’offrir un espace pour nourrir le débat international entre anarchistes. C’est pourquoi ces pages laisseront surtout la place aux combats dont le ressort est anarchiste : des luttes autonomes, directes et auto-organisées ; des combats qui poussent vers la destruction du pouvoir sous toutes ses formes ; des luttes qui se déroulent aujourd’hui, comme hier ou qui sont à venir.

Lire/Télécharger le numéro 6 d'Avalanche

Lire/Télécharger le numéro 6 d’Avalanche

Tous les anciens numéros en plusieurs langues (anglais, espagnol, allemand et français) sur le site: avalanche.noblogs.org

[Publication] Sortie du 5ème numéro de ‘Subversions’, revue anarchiste de critique sociale

Le n°5 de “Subversions” vient de sortir (décembre 2015). Cette revue anarchiste de critique sociale fait 78 pages, et tourne du côté des distros au prix de 2 euros l’exemplaire, 7 euros les 5 exemplaires et 12 euros les 10 exemplaires.

On peut écrire à la distro de la Bibliothèque anarchiste Libertad (19 rue Burnouf – 75019 Paris) pour se la procurer, ou à subversions((A))riseup.net. Pour avoir une petite idée de son contenu, voilà l’édito et le sommaire. Les n°2 (avril 2013) et n°3 (septembre 2013) sont toujours disponibles.

subversionscouv5.indd

Sommaire :

Pot-pourri
• Carpe Diem
• Un élément perturbateur
• Pourquoi tant d’agressivité ?
• Topologie insurrectionnelle
• Regard sur la ville
• Rompons les rangs !
• Adresse aux zadistes
• Il était une fois la cogestion
• L’effet dièse
• Autour de la question des « montages », de la justice et de l’offensive

Focus
• Une métropole quelque part en Europe
• Que mille révoltes éclatent
• Au pays des démocraties
• Temps de guerre
• Quelques considérations pour envisager un projet de lutte contre les frontières
• Expériences de lutte contre la machine à expulser à Paris
• Liberté pour tous, avec ou sans papiers

Cahier
• Ni de leur guerre, ni de leur paix
• Tous en guerre
• A bas tous les soldats
• Face à la guerre et à l’état de siège : rompons les rangs
• Larmes sélectives

Commentaires déplacés
• Aux clients
• Blanqui à Venaus
• Les récupérateurs radicaux sortent du bois
• Fers battus

[Reçu par mail]

Contre tous les Etats et toutes les autorités

Depuis les tueries exécutées le 13 novembre au nom d’un foutu ordre religieux et de sa loi islamique, la loi de la République pèse aussi d’un nouveau poids sur nos épaules et au-dessus de nos têtes : celui de l’état d’urgence déclaré le soir même et prévu pour durer.

La « nouveauté » c’est que l’Etat profite de l’occasion pour saturer l’espace d’uniformes en armes, y compris kaki. C’est aussi qu’il donne officiellement une large carte blanche à tous ses chiens de garde pour défoncer les portes, arrêter, assigner à résidence,pour interdire et empêcher sur le champ tout regroupement sortant de la communion autour du drapeau. Car l’unité nationale et patriotarde exigée au nom de la guerre contre les ennemis extérieurs et intérieurs vient légitimer les nouvelles mesures, en même temps qu’elle vise à étouffer les antagonismes sociaux jusque dans les esprits.

Cependant cette accélération dans la mise au pas de l’ensemble de la société ne peut faire oublier que l’Etat n’a pas attendu que l’un de ses concurrents sème sa terreur pour déchaîner le panel de sa violence institutionnelle contre celles et ceux qui troublent, contestent et combattent la normalité de l’ordre démocratique marchand.

Les dispositifs de surveillance à large échelle, la brutalité quotidienne des interventions de flics, la traque des indésirables, l’enfermement de masse font partie de la routine de la domination. Nous n’oublions pas non plus que tous les jours le pouvoir, quel qu’il soit et sans avoir besoin de la déclarer officiellement, mène la guerre à l’extérieur, à l’intérieur et aux portes des territoires sous sa botte. En témoignent les millions de vies brisées et anéanties par les opérations militaires, par l’implacable avancée du rouleau compresseur capitaliste, par l’existence même des frontières.

Opposer le cours normal des choses au chantage de la peur revient donc à prêcher pour le maintien d’un ordre qui repose sur l’exploitation, la domination et le massacre.

Pour affronter et contrecarrer la volonté d’écrasement de la liberté, y compris au nom d’une pseudo sécurité, il ne peut y avoir qu’une réponse : le combat contre l’autorité et la révolte individuelle et collective contre les lois et les normes qu’elle tente de nous imposer.

Une compagnonne, Lucile, vient d’être condamnée à 3 mois de prison pour ne pas avoir accepté sans broncher l’un des multiples contrôles d‘identité qui menacent les sorties « suspectes » dans la rue depuis bien avant la mise en place de l’état d’urgence. Tout comme elle ne s’est pas soumise au bon vouloir des flics, elle continue à garder la tête haute face à la justice et à l’intérieur de la taule. Ce genre de gestes et d’attitudes viennent rappeler que le misérable quotidien auquel les puissants prétendent nous assigner en nous dépossédant de tout choix sur notre vie ne rencontre pas qu’obéissance, fatalisme et résignation.

Cet exemple parmi tant d’autres rappelle aussi que la solidarité peut aussi consister à trouver des manières de saboter, en solo ou à plusieurs, de jour comme de nuit,les plans guerriers et répressifs du pouvoir,pour continuer à porter haut et fort des perspectives d’émancipation, sans Etats ni frontières,sans dirigeants ni dirigé-e-s, sans préceptes religieux, ni codes moraux, ni codes pénaux.

Liberté et Révolution sociale ? !

[Publié sur nantes indymedia, 6 décembre 2015]