La déficience de la désobéissance civile en milieux anarchistes

Il y a très certainement plusieurs façons de comprendre la lutte anarchiste : depuis la plus fantaisiste, où les personnes peuvent croire que par le simple fait de désirer la transformation de la société, celle-ci arrivera ; en passant par la vision des « révolutionnaires cybernétiques » qui arrivent à croire qu’en postant la lutte [sur internet] elle se réalisera ; ceux qui assis tranquillement attendent qu’arrivent d’elles-mêmes les conditions pour attaquer, tandis qu’ils « s’endoctrinent » tels de vils religieux ; ceux qui décident de passer à l’action et faire de leur vie l’anarchie même ; et aussi ceux qui pensent pouvoir jouer avec les droits que l’État même leur donne, les anarchistes civiques.

C’est sur ce dernier point que nous nous arrêterons pour réfléchir.
Nous continuons de lire et écouter des compagnons anarchistes qui au sein de leur discours persistent à revendiquer la désobéissance civile comme un acte pour mener le conflit contre le Pouvoir et l’autorité. La plupart du temps parlant de vouloir « les détruire d’un coup à travers des actes de simple désobéissance basée sur leurs droits civiques », ce qui en soi est une contradiction, totalement différent à ce que certains anarchistes entendent par la lutte, ses moyens et ses fins.

Entendre la désobéissance civile comme une forme de participation politique basée sur l’accomplissement de la justice (ce qui n’est qu’une manière de la définir), nous éloigne très certainement d’une perspective de confrontation réelle avec l’existant. Ceci parce que nous ne cherchons aucun dialogue ni médiation avec l’appareil étatique et nous  prétendons encore moins leur réclamer la « justice » pour la barbarie à laquelle ils soumettent quotidiennement leur « peuple gouverné » -au sein duquel, comme libertaires, nous ne nous incluons pas.

Clairement, la désobéissance civile c’est ne pas obéir à n’importe quelle loi imposée (comme toutes), de plus cette désobéissance ne remet pas en cause, ni n’attaque, l’autorité, mais elle se limite seulement à signaler qu’elle n’est pas d’accord avec certaines lois en vigueur, mais probablement que le mécontentement prendra fin lorsque « l’appareil régulateur de la justice » réglera le conflit en sortant une nouvelle loi qui sera plus « appropriée» pour une pétition civile de citoyens. Par exemple, le prisonnier qui se rebelle et a recours à la désobéissance civile pour protester contre les mauvais traitements, réclame ainsi qu’on le traite mieux et qu’on rende son séjour en prison plus agréable, mais reste dépourvu d’un minimum de sens destructif du système carcéral.

En partant d’une perspective anarchiste nous ne pouvons pas prétendre obtenir des droits politiques, qu’ils soient individuels ou collectifs (quelque chose de très proche du réformisme) en se montrant en désaccord avec la forme dont s’administrent les lois et en essayant de combattre certaines « injustices »; en luttant pour trouver la solution au problème mais sans porter un antagonisme réel contre la loi même, c’est à dire, en voulant améliorer cette loi au lieu de la détruire. Il est inutile de préciser que pour détruire les lois il faut attaquer l’État/capital dans son ensemble, sans chercher seulement à donner une solution partielle à quelque chose qui nous nuit en tant que « civils ». La fonction sociale civique est totalement contraire à la fonction de la guerre sociale.

Nous croyons assurément que la présence anarchiste doit se trouver dans chaque acte de rébellion, dans chaque bourgeon de révolte, afin de, autant que possible, chercher à  généraliser le conflit contre les représentants et défenseurs de l’autorité, mais ceci toujours depuis des projectualités propres à l’acratie, et sans se laisser embobiner par ce que les « dirigeants » ou les tartuffes pacificateurs de luttes disent.

Il faut toujours se rappeler comment, au sein de conflits contre le pouvoir, il y a toujours des pompiers gauchistes et/ou récupérateurs de luttes qui cherchent à faire la médiation pour arriver à des accords et que tout le monde rentre chez soi et fasse « comme si rien ne s’était passé ». De plus nous savons que cela ne favorisera jamais l’objectif de permanence et de transcendance du conflit, mais ne fera qu’obtenir l’assimilation par le Pouvoir de nos propres efforts. Souvent ces actes sont menés à travers l’usage et la revendication de la désobéissance civile, à travers de simples actes citoyennistes.

La désobéissance civile est née de conceptions pacifistes, même si dans certaines situations on l’a aussi vu se radicaliser. Et pour cette raison nous devons comprendre une chose, que la destruction ne s’accomplira pas uniquement en sabotant les structures et édifices du Pouvoir, car il en faut beaucoup plus que ça. Pour la même raison cela ne veut pas dire que parce que les « militants civiques » argueraient que la désobéissance civile comporte aussi sa part d’hostilité, en menant des actions violentes voire même incendiaires, le pouvoir en vienne à succomber. La destruction c’est une chose, mais que ce qu’on a détruit se reforme est un autre problème. C’est à partir de cela que nous affirmons que la lutte basée sur l’accomplissement des « droits  et garanties » que l’État nous donne, nous éloigne énormément d’une lutte réelle et destructive. Car, tandis qu’on continue d’argumenter que tel ou tel article de la constitution nous donne une certaine liberté pour nous développer comme citoyens libres, nous condamnerions la lutte à être incluse au sein du système que l’on prétend attaquer et que l’on veut éradiquer. Et ce n’est qu’un exemple, car bien sûr qu’il y en a qui ne se servent pas de l’argument des droits constitutionnels. Mais les actes continuent de se faire par des pétitions civiques, telles que les abolitionnistes des prisons, des corridas de taureaux, des droits des indigènes et des femmes, de l’avortement libre et jusqu’à ceux qui par le biais de la légalité cherchent à freiner les initiatives de constructions d’autoroutes, entre autres choses.

Il est indispensable de se passer de l’idéologisation de la lutte, et il est aussi indispensable de s’éloigner des concepts qui émanent du Pouvoir même, tels que « la démocratie directe », le « pouvoir populaire » ou même le « municipalisme libertaire ou assemblées de quartiers », qui ne sont rien d’autre qu’une manière de faire en sorte que l’individu se sente inclus au sein d’une lutte qui ne lui est pas propre. Une lutte maquillée seulement pour reproduire des terrains de pouvoir et de contrôle, en tant que vieilles formes de gouvernement (bien qu’ils veuillent le voir comme des auto-gouvernements) et qui aboutissent toujours à la même chose : des promesses de liberté qui finissent par n’être que la réalisation des profits de petits groupes intéressés à obtenir ou maintenir le Pouvoir. Pour donner quelques exemples il n’y a pas besoin d’aller très loin. Il suffit d’écouter les propositions de n’importe quelle organisation gauchiste, guerrilleriste ou même libertaire, ou plutôt « libertaire », pour se rendre compte que pour atteindre leur but ils utilisent le besoin et la volonté de changement que ressent l’individu (car lorsqu’un potentiel individuel ou communautaire apparaît, ces groupes cherchent à les récupérer dans leurs organisations) et ensuite ils leur mettent dans la tête l’idée de « lutte pour la justice et le respect de ses droits civils ». Exploiter l’idée d’autonomie et d’auto-organisation pour obtenir du pouvoir politique, ça n’a rien d’éthique, mais ça, c’est une autre histoire.

Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’ignorer les lois en cours développées au sein de la société, mais de lutter frontalement et résolument contre ce qui nous vole la vie.
Ne pas reconnaître les lois est le premier pas, et la conséquence c’est aussi de les attaquer et les détruire, mais pas sous des perspectives civiques, mais dans des propositions et des accomplissements issus de l’anarchie.

Par un loup affamé
Revue Negación, n°8, Septembre 2016, Mexique,

[Traduit de l’espagnol par Diomedea.noblogs.org]