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Solidarité avec la bibliothèque anarchiste ‘La Discordia’ suite aux « tags » récemment trouvés sur sa devanture

C’est un peu court, jeune homme…

La mauvaise décoration de façade qu’ont pu découvrir, sur la Discordia, passants et participants au débat intitulé « islamophobie, du racket conceptuel au racket politique » le 26 janvier dernier ne pouvait pas manquer de laisser tout un chacun perplexe : « fafs » et « racistes » et deux A cerclés tracés à la bombe. Mais en fait, où est l’insulte, où est la signature ? Le communiqué en forme de mauvais pastiche qui accompagne les gribouillis confirme l’hypothèse : on accuse d’être des « fafs » et des « racistes » et on se revendique de l’Anarchie. Face à l’aberration infamante de ces accusations, on aurait bien envie de s’exclamer…

C’est un peu court jeune homme,

Ah, non ! On pourrait dire… ô dieu… bien des choses en somme

Et de poursuivre, en variant le ton, par un chapelet d’insultes piochées dans l’orthodoxie anarchistes : Blasphémateurs ! Impies ! Athées ! Mécréants ! Apostats ! Sacrilèges ! Hérétiques ! Déïcides ! Apologistes de l’abjuration ! Puis continuer avec quelques slogans fleuris tirés du patrimoine libertaire : Quelques maîtres et surtout un Dieu ! Vive l’oppression et sa religion ! La capote, je sais pas, la calotte, il en faut pour moi ! Le sacré, c’est sacré ! Touche pas à leur religion ! Ce qu’on aime chez les prolos, c’est quand ils sont bigots ! N’attentez pas à ma liberté de prêcher ! Le tout couronné d’une signature plus consistante, qui aurait pu être « des anarchistes pour le respect de la loi de 1905 ».

Mais pour ça, il fallait des lettres, beaucoup plus en tout cas, et s’entrainer à les tracer d’une main un peu plus sûre. De l’esprit, aussi, un peu enclin à la subversion. Ceci étant dit, trêve de confiseries, passons au plat de résistance.

Contrairement à ce que ces « tags » et quelques gros malins voudraient faire accroire aux imbéciles, critiquer la lecture en terme d’islamophobie, ce n’est pas nier l’existence du racisme, des racistes, et des actes racistes. Le racisme s’en est toujours pris aux signes visibles de l’altérité, quels qu’ils soient, religieux ou culturel entre autres. Et, quoi qu’il en soit, son refus théorique et pratique est une nécessité qui n’a certainement jamais quitté ni les organisateurs ni les participants de ce débat.

En revanche, ce qui est nouveau dans la lecture que le terme d’islamophobie implique et impose, c’est qu’au lieu de défendre celui qui est attaqué – l’étranger par exemple – en tant que tel et de s’opposer ainsi à toutes formes de fierté identitaire nationale, communautaire ou appuyée sur d’autres appartenances et aux actes ignobles qui peuvent en découler, on prétend qu’il faudrait le défendre en tant que musulman, faisant de cette catégorie le nouveau sujet politique, et, pire encore, qu’il faudrait défendre l’islam qui serait attaqué à travers lui.

Dans les années 80, ce qui s’est appelé « anti-racisme » a déjà servi à donner un supplément d’âme au PS et à son extrême gauche, et à justifier la politique d’exploitation et de répression des immigrés dont de nouvelles modalités se mettaient alors en place. Mis aujourd’hui au service de la défense du religieux, il a toujours bon dos. Récupération s’il en est… et que deviennent alors les « premiers intéressés » dont on se revendique et qu’on assigne sans vergogne à l’obéissance au religieux ? Quelles perspectives émancipatrices, pour les uns comme pour les autres, dans cette lecture ? A moins que dans un paternalisme complètement décomplexé, l’émancipation par rapport au religieux ne soit réservé qu’aux militants (sans doutes de gauche) et aux étudiants en philosophie, et qu’on l’interdise à ceux au nom desquels on prétend s’agiter, manifester et en l’occurrence, faire ces espèces de « tags » infamants.

De plus, tout en cherchant à discréditer de fait la possibilité de critiquer l’islam en tant que religion, – alors que la critique de la religion (donc de toutes les religions) fait partie des évidences pour ceux qui veulent sérieusement s’attaquer à ce monde dans une perspective révolutionnaire –, la notion d’islamophobie, en substituant la défense de l’islam à celle des immigrés (par exemple), nie la longue histoire de l’émergence de ces derniers comme sujets de lutte, histoire liée à la remise en cause du modèle travailliste et programmatiste promu par la part majoritaire du mouvement ouvrier dans la droite ligne des organisations communistes orthodoxes. C’est donc aussi à ce titre une lecture non seulement réactionnaire mais surtout absolument anti-subversive.

Heureusement, face à cette entreprise de justification du religieux et de négation d’une part essentielle de l’historie du mouvement révolutionnaire, ici et là, un peu partout, des voix commencent à s’élever, des refus s’expriment pour contrer cette vague, dans laquelle la confusion le dispute à la saloperie, et qui menace d’emporter de manière transversale les espaces contestataires au sens le plus large. Travaillons donc l’optimisme, et espérons, comme le nombre et la diversité des participants à la discussion proposée par la Discordia nous permet de le présager, que les cartes seront rebattues et que l’aire révolutionnaire en sortira renforcée.

En attendant, dans le clivage historique qui s’engage, ceux (celui ou celle) qui ont gribouillé la Discordia, ainsi que leurs amis, ont choisi leur camp. Puissent-ils éternellement pourrir d’ennui dans le paradis de leurs nouveaux alliés !

Alors compagnons, camarades, merci pour ce débat, courage et persévérance, on est évidemment à vos côté !

A la vue de ces abus, Cyrano, en terrasse, sirotant un raki, repris, de concert, par le chœur des passants solidaires et associés, s’écrie « J’ai des fourmis dans mon épée ».

Les oiseaux de passage.

[Publié sur indymedia lille, 05/02/2016]

D’autres communiqués en solidarité avec ‘La Discordia’ à lire ici

 

 

Sarcogyps

« Le coup d’Etat de Juin, ce vampire anonyme,
En vous, tribuns, en vous, bourgeois, s’est incarné,
Et Décembre n’en est que l’enfant légitime.
Ex-bravi de l’autorité,
Frappez-vous la poitrine, et, devant cette bière,
Qu‘amendant le passé, le présent vous éclaire.
Il n’est qu’un talisman pour tous : la liberté ! »

Joseph Déjacque

C’est le 24 juin 1852 que l’anarchiste Joseph Déjacque prononça ces mots. La triste occasion lui en fut donnée par l’enterrement de Goujon, compagnon de lutte et d’exil, mort quelques jours plutôt à Londres. Ses funérailles furent suivies par tous les proscrits français présents dans la capitale anglaise, parmi lesquels se détachaient les ex-chefs de la révolution de 1848. Comme le rappela Gustave Lefrançais, « Ledru-Rollin, Louis Blanc, Caussidière, Félix Pyat, Nadaud, les deux Leroux, Greppo, Martin Bernard — tous ex-représentants du Peuple — marchaient en tête du cortège et se trouvèrent ainsi placés au premier rang de la fosse. »

Lorsque ce fut son tour de prendre la parole pour un dernier salut, Déjacque, l’anarchiste Déjacque, leur cracha au visage tout son mépris. Les parrains du coup d’Etat ne purent y échapper. Soudain muets et effrayés, ils se retirèrent en vitesse. L’un d’entre eux se plaignit quelques jours plus tard de l’ « incartade intempestive » de Déjacque, l’accusant de réveiller les discordes assoupies devant l’ennemi commun. Mais « l’ennemi commun », comme le rappela justement Lefrançais, « c’est tout ce qui, à Londres et à Paris, ne songe à gouverner que pour mieux garantir les privilèges sociaux. »

Eh bien, atroce ironie de l’histoire, ce sont les partisans modernes de l’insurrection d’Etat qui voltigent aujourd’hui autour de la fosse de Déjacque. La maison d’édition La Fabrique a annoncé il y peu qu’elle publiera en mars, sous l’égide de l’universitaire de service, un recueil de textes du proscrit parisien intitulé A bas les chefs ! Son nom sera aspiré dans un sinistre catalogue aux côtés de Marx, Engels, Lénine, Mao, Blanqui, Gramsci, Robespierre, Tiqqun, le Comité Invisible, le Syndicat de la Magistrature, le flic fondateur du Syndicat de la Police Nationale, un médecin auxiliaire de garde-à-vue…

Vous savez ce qu’on dit dans ces cas-là, non ? Par tous les moyens, mais avec un seul but : la grande eau de vaisselle révolutionnaire à même d’annuler toute différence entre autorité et liberté.

[Traduit de l’italien de finimondo par brèves du désordre, 25/1/16]

NdNF:

* Le Vautour royal (Sarcogyps calvus) est une espèce asiatique d’oiseaux charognards. C’est la seule espèce du genre Sarcogyps.

 

[Discussion] Islamophobie: du racket conceptuel au racket politique – Mardi 26 janvier 2016 à ‘La Discordia’

Islamophobie : du racket conceptuel au racket politique

Mardi 26 janvier 2016 – 19h à ‘La Discordia’ (45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris), Métro Place des Fêtes  (lignes 7bis et 11 du métro).

Le concept d’islamophobie est un racket sémantique et politique qui se situe au carrefour de deux camps conceptuels, celui du religieux et celui du racisme. Son but est en effet d’enlever toute légitimité à la critique de la religion musulmane (et donc, par glissement, aux religions en général), taxant systématiquement toute critique de racisme envers les croyants (réels ou supposés). De nombreux soi-disant « révolutionnaires » se sont réappropriés ce concept et, par conséquent, l’aveuglement face au rôle autoritaire et pacificateur de toute religion.

Alors que nos pieux « révolutionnaires » nous parlent d’« islamophobie » à toutes les sauces, les fachos du printemps français nous parlent, eux, de « cathophobie », d’autres encore de « négrophobie » ou de « judéophobie ». Chacun tente son petit racket politique sur l’antiracisme. Chacun a sa petite oppression et ses petits particularismes à mettre en avant, toujours en concurrence avec ceux des autres, approfondissant les divisions entre exploités. Et surtout, plus personne ne parle de la lutte contre le racisme en tant que tel, et sous toutes ses formes.

Refuser ce raccourci conceptuel est un point de départ pour s’opposer à toutes les religions, y compris l’islam, présenté à tort par les défenseurs du concept d’« islamophobie » comme la religion des opprimés (comme le catholicisme irlandais ou le bouddhisme tibétain à d’autres époques). Il s’agit alors de nous faire passer la religion comme élément d’émancipation dans le pire des cas, et dans le moins pire, de faire passer l’idée que la religion n’est pas, en soi, un outil de domination séculaire au service de l’ordre. Derrière cela se cache l’idée que les rapports de domination, lorsqu’ils sont portés par de supposés « opprimés », deviendraient émancipateurs.

Parce que la religion reste un problème majeur pour ceux et celles qui veulent une transformation radicale de ce monde, sa critique est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais. Parce qu’il n’y a pas de « religions des opprimés », seulement des religions qui oppriment.

Suggestions de lecture :

Le site: ladiscordia.noblogs.org

[Mexique] Lancement du site de la revue ‘Negacion’

Lancement du site de la revue ‘Negacion’ (Mexique), avec en plus un supplément : « Suplemento Revista Negación #7 Dossier sobre la militarización en Francia y Bélgica, y el antagonismo ante el estado de emergencia »

revistanegacion.espivblogs.net

[Publication] Sortie du n°5 de « Paris sous tension », journal anarchiste sur Paris et au-delà

Se faire exploiter, choisir un maître (ou se le voir imposer) et de manière générale faire comme tout le monde; est-ce cela la liberté ? NON.

Dépassons ce constat amer que nous faisons -trop- régulièrement. Réfléchissons et discutons de tout ce qui nous opprime, nous exploite et nous empêche de nous émanciper. Pointons du doigt les responsables, les collabos, leurs projets et leurs structures qui participent à la perpétuation et au développement de la domination et de l’exploitation.

Faisons résonner les diverses manifestations d’insoumission et d’attaques, les révoltes plus ou moins étendues dans l’espace et dans le temps. Car la domination et l’exploitation s’incarnent dans des êtres humains, des bureaux, des structures, des véhicules, etc. bien réels et atteignables par l’imagination de chacun-e. Car voici notre conviction : nous pouvons nous donner les moyens de reprendre nos vies en main, de lever la tête, d’agir et de rendre des coups au «meilleur des mondes» par nous-mêmes, de manière directe et autonome. Sans se soumettre, ni commander.

Et au-delà de tout cynisme ou résignation, nous sommes capables de rêver et d’imaginer des vies et des relations autres que celles qui nous sont imposées. Ce journal se veut ainsi un cocktail d’oxygène et d’étincelles, d’idées et de rêves de liberté, d’attaques, d’insoumission et d’offensives diverses. Par des individus d’ici et d’ailleurs qui se mettent en jeu; avec audace, lucidité, espoir, dégoût, rage, joie et confiance en soi, ses idées et ses complices…

Ce journal souhaite montrer et faire la convergence de ces vies; ces vies comme des paris sous tension…

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Déjà cinq numéros du journal sont parus, à consulter en ligne et à choper sur le site: parissoustension.noblogs.org

Le numéro 5 en PDF

Nos rêves sont leurs cauchemars !*

Communiqué de « Séditions »

Depuis son lancement en mars 2015, le journal « Séditions » était mis à libre disposition de tous à la librairie « L’Autodidacte », lieu de passage, de rencontres et de diffusions des anarchistes à Besançon**. Un petit emplacement avait été obtenu – non sans avoir bataillé – avec plusieurs « responsables » du lieu, le groupe Proudhon de la Fédération Anarchiste. De tous les endroits fixes où l’on peut se procurer le journal, “L’Autodidacte” est le seul qui est tenu par des “anarchistes”. Et pourtant…

Ce samedi 9 janvier 2016, ces « libertaires », trop soucieux de garder leur image inoffensive contre le pouvoir et de saper toute agitation qui sort de leur rang, ont décidé d’expulser le journal et les anarchistes qui y participent. C’est un signe clair de dissociation à tous ceux pour qui la révolte n’attend pas et qui consacrent du temps et de l’énergie à diffuser les idées et pratiques anarchistes offensives contre l’Etat et le capital à Besançon et ailleurs.

Les militants du groupe Proudhon de la FA ont montré à tous que leur urgence était en somme la même que celle de l’Etat, c’est-à-dire de museler toute subversion contre ce monde, en cherchant à pacifier les rapports de domination et d’oppression. C’est une énième dissociation à l’encontre des idées et pratiques anarchistes, dont leur organisation est coutumière depuis longtemps.

Depuis bientôt un an, « Séditions » a pour but de décortiquer les plans macabres du pouvoir et de les mettre à la vue – et à la portée – de tous, de désigner ses structures diverses et variées afin de s’attaquer ici et maintenant à ce qui nous opprime et nous détruit. Cette volonté de diffuser la conflictualité sociale à travers chaque coup porté contre l’Etat et le capital part du principe que nous n’attendons pas le réveil d’une « masse » pour agir, que la révolution n’arrivera pas en claquant des doigts. Par ailleurs, ces brèves d’actions directes réchauffent les cœurs enragés de toutes âmes révoltées au sein d’une société atomisée par la pacification.

Nous continuerons quoi qu’il en soit à agir ici et maintenant contre toute domination ! Nous sommes parfaitement conscients que nous constituons une épine dans le pied de ces politiciens bien trop occupés à fantasmer une société libertaire, sans même jamais évoquer la question des moyens d’y parvenir.

Nous tirons désormais des conséquences positives de ces sinistres événements : nous sommes, plus que jamais, déterminés à poursuivre nos activités acrates, agitatrices, contre ce monde de misère et d’oppression !

A bientôt dans les rues ! Pour la révolution !

Des anarchistes participant au journal.

Notes :
*Détournement d’une affiche de la FA contre l’état d’urgence « Leurs rêves sont nos cauchemars ». En l’occurrence, nos rêves de liberté et d’autonomie ne sont en aucun cas compatibles avec leur démocratisme « autogestionnaire », leurs démarches citoyennes et « non-violentes ».
**Derrière leurs positions de façade selon lesquelles tous les anarchistes de diverses tendances sont les bienvenus dans cette librairie, on peut mentionner quelques faits dégueulasses réalisés par les militants du groupe Proudhon de ces dernières années : recollage d’affiches anarchistes collées par des autonomes, enlèvements et destructions d’affiches, d’autocollants et de brochures anarchistes mises en libre accès à la librairie. « L’Autodidacte » était encore il y a peu de temps l’un des rares lieux sur Besançon où des anarchistes d’autres villes passaient faire un tour, malgré le fait que plus le temps passe, moins il y a de places pour les revues et ouvrages anarchistes : à l’inverse, les revues altermondialistes et écolos-confusionnistes, éducationnistes (la plupart étant écrits par leur ponte national Hugues Lenoir, cf la brochure de Ravage Editions « Pour en finir avec la FA »), la propagande trotskiste et syndicaliste, les événements d’assoc’ humanitaires/religieuses ont toutes leurs places. En dépit d’un double discours, il s’agit donc bel et bien d’une « librairie associative », comme elle se présente. Ce texte a bien pour but de tirer un trait sur ce lieu et ne plus y mettre les pieds, d’inciter camarades et compagnons d’autres villes à faire de même. D’autres espaces naîtront d’ici là…

[Publication] Bien que les ennemis de la liberté en remettent une couche …

birdsCes derniers jours, on a pu entendre que deux nouveaux camps ou prisons doivent être réalisés dans Bâle ou ses environs. A Muttenz, un centre d’identification de migrants doit d’ores et déjà être mis en service début 2016 et y interné jusqu’à 900 migrants, ce qui en fera le plus gros centre fermé de Suisse. Les personnes doivent séjourner dans le centre au maximum 3 semaines afin d’y être ficher, avant qu’elles ne soient répartis dans les cantons pour l’étude de leur demande d’asile. Le camp de Bässlergut, qui sert aussi bien à expulser qu’à enfermer, doit être agrandi d’ici 2019 après restructuration. La nouvelle prison ouvrira 78 nouvelles places. Les 43 places qui existent déjà à Bässlergut et qui servent actuellement comme cellules pour de courtes détentions seront alors de nouveau utilisées comme centre d’expulsion. Par ailleurs, un centre d’asile régional qui, par la centralisation des institutions compétentes, permet un accès aux renseignements plus rapide et des expulsions plus performantes, doit être construit à l’avenir dans la région. Depuis 2014, cette nouvelle forme de politique d’enfermement est testée à Zurich. De tels camps ou centres de rétention continuent de s’étendre dans toute l’Europe.

Cette élargissement du contrôle et de l’enfermement au niveau local peut dans une plus large mesure être observé sur le plan international : en Italie et en Grèce, des hotspots ont été érigés afin que les migrants considérés comme un problème puissent être déjà malmenés à l’extérieur des frontières. Les hotspots qui sont coordonnés par différentes autorités policières et de gardes-frontières de l’Europe représentent une énième mesure en matière de gestion répressive et de contrôle des flux migratoires. Ainsi, l’enregistrement (qui constitue une mesure énorme et importante pour le régime migratoire européen) se fait déjà à travers les relevés d’empreintes digitales, de photos et de saisie dans la banque de données ‘Eurodac’ et ceux qui n’ont pas la chance d’obtenir l’asile, puisqu’ils ne bénéficient pas du statut de réfugiés, sont triés lors des rafles. Le recensement systématique dans les fichiers ainsi que le tri des différentes personnes – ce qui est exactement la même chose que le centre d’identification à Muttenz – est, en même temps, l’objectif d’une telle mesure. Les Hotspots aux frontières extérieures de l’Europe s’ajoutent aux dénommées zones « tampon » dans les pays avoisinants, qui doivent empêcher les migrants de poursuivre leur voyage vers l’Europe en protégeant les frontières et en construisant de gigantesques camps. En contre-partie et en plus du versement d’une certaine somme, l’Europe prendra en charge un certain nombre de migrants de ces pays. Un accord a déjà été signé avec la Turquie, cet Etat de merde qui combat les mouvements progressistes, s’acharne sur les résistants de tous bords et soutient les fanatiques de DAESH ; un accord de ce type doit être signé avec la Libye. Dans les eaux libyennes, la deuxième phase du programme de l’UE « NAVFOR Med », qui autorise à détruire les bateaux de passeurs, a débuté en septembre 2015 avec la mobilisation de 6 bateaux de l’armée et de 1200 militaires jusqu’à présent. Puis dans la troisième phase, les militaires sont censés aussi de pouvoir faire la guerre aux bateaux et aux infrastructures sur le sol libyen.

La liste est déjà longue et ce serait d’emblée possible d’exposer d’autres exemples de cette guerre menée contre les migrants, qui provoque déjà la mort de milliers de personnes. Malheureusement, cette guerre menée dans le tout jeune 21ème siècle n’est pas la seule, et ainsi se succèdent les lois de surveillance dans différents pays, les nouveaux armements de la police et de l’armée, les constructions de différentes prisons dans toute l’Europe et les villes qui se transforment en prisons à ciel ouvert, la même répression offensive des puissants qui augmente contre celles et ceux qui résistent. Une guerre, qui est devenue si banale qu’il n’est plus nécessaire de l’expliquer, doit assurer la domination des privilèges établis sur tous les fronts en resserrant les mailles de la société de contrôle. Chacun à sa place, fiché et examiné à la loupe, afin que le pouvoir ait assez de moyens au moindre petit signe de perte de contrôle ou d’évasion de ses rangs pour rétablir l’ordre le plus rapidement et le plus efficacement possible ou de mettre les éléments perturbateurs hors d’état de nuire.

De plus, on peut parler des tendances nationalistes qui se renforcent partout, de la répression militaire des émeutes dans les banlieues des villes des USA ces dernières années, des contrôles en augmentation jusqu’à prendre des proportions incommensurables, l’état d’urgence en France, l’état d’une planète polluée au plus haut point, l’immersion grandissante des technologies dans nos têtes et dans nos vies, l’ignorance et l’acceptation qui se diffusent à vitesse exponentielle et de manière effrayante… un petit avant-goût des temps sombres. Peut-être. Les voies dans cette direction ont déjà été annoncées, mais elles sont bien évidemment déjà appliquées. L’avenir pourtant, s’il est incertain car le capitalisme a d’ores et déjà déployés ses tentacules toxiques, s’ouvre à nous malgré tout. Ceci réside peut-être lorsque bouillonnent la passion dérangeante d’une vie libre et d’un besoin enflammé d’insurrection, de se débarrasser de ce monde macabre de guerre et de mépris de la vie, de tristesse et de haine, de créer un monde de solidarité et d’entraide, de faire place au respect et à la dignité, mais également au début de la fin de cette civilisation capitaliste, qui n’a pas plus besoin de rendre les gens étrangers, d’absurdités factices et virtuelles que de misère et de destructions.

Bien que les ennemis de la liberté en remettent une couche et qu’un nouvel orage s’élève à l’horizon, déjà couvert de nuages sombres, il s’agit d’affirmer encore plus fort et d’hurler que les camps et les prisons, le racisme et les guerres, la persécution et l’oppression sont des composants solides d’un monde construit sur l’autorité, que l’Etat est depuis toujours l’ennemi de ceux qui reprennent eux-mêmes leurs vies en main et qui ne veulent pas la déléguer à des fous. Il s’agit de réaffirmer que cette machine doit être arrêtée, que seule une rupture profonde avec la société actuelle nous ouvre des possibilités d’expérimenter la liberté et l’auto-détermination, la seule possibilité d’une véritable paix.

Quelques anarchistes en conflit avec toute domination

Solidarité avec l’attaque contre Siemens à Bâle :

La mort des uns est le profit des autres. Pendant que la guerre se prépare à tous les niveaux et s’intensifie, ça signifie aussi que les entreprises et institutions flairent les avantages et les profits. Toutefois, des perspectives s’ouvrent aussi ici sur la façon dont cette misère peut être combattue : les différents responsables et profiteurs des camps et des politiques d’expulsion (bureaux administratifs à l’immigration, flics, ORS AG, Securitas, ISS, Swiss) peuvent être directement attaqués, la construction de de nouveaux camps et de nouvelles prisons, comme c’est justement le cas pour Bässlergut II à Bâle, peuvent être empêchés et sabotés. Car s’impliquer dans les structures démocratiques semble être une mauvaise blague, être conformes et serviles quand cette machine de guerre doit être détruite ici et maintenant
Alors, dans la belle nuit du 7 décembre 2015, une voiture de ‘Siemens’ a été livrée aux flammes. Cette entreprise, présente sur différents fronts de guerre dans le monde entier, participe aussi au repli de l’Europe.
Les inconnus appellent par ailleurs « à saboter cette guerre des dominants ».

[Traduit de l’allemand de ausdemherzenderfestung, 15. Januar 2016

[Publication] De l’incompabilité

S’il est sans doute souvent plus confortable de se taire, certaines silences peuvent aussi devenir insupportables. C’est pour cela que malgré tout, nous avons préféré de prendre la parole.

Comme vous, nous avons vu qu’il y a trois initiatives dans trois differents villes italiennes où quelques compagnons de Bruxelles viendront parler sur la lutte contre la maxi-prison. S’il s’agit d’une lutte spécifique dans un espace déterminé, il est vrai que la question peut possiblement concerner tous les anarchistes et d’autres revoltés, aussi au-délà des frontières étatiques. Depuis le début de cette lutte, il y a eu en effet des anarchistes d’un peu partout qui s’y sont intéressés, qui l’ont defendu, qui y ont participé de differentes manières. Cela n’est pas juste une petite chose en plus, cette dimension internationaliste s’est vraiment enracinée dans la projectualité même de cette lutte. Et au-délà du fait si le conflit se déroule autour de la construction d’une maxi-prison, d’un aeroport, d’une mine d’or ou si c’est une révolte qui vient enflammer les rues des metropoles ou les sentiers des campagnes, c’est la question de la projectualité insurrectionelle qui pourrait être au coeur des échanges entre compagnons, et cela à un niveau international.

Pour autant que cela nous réjouit que des compagnons d’ailleurs organisent des initiatives pour discuter sur cette lutte, que des compagnons impliqués dans la lutte prennent le temps pour voyager et porter le debat bien loin de la capitale belge, il y a quelque chose d’amer qui nous est resté dans la gorge. Et on écrit cette lettre pour en parler.

Partout où des anarchistes sont en lutte, des problématiques assez difficiles se posent. Quelle projectualité derrière la lutte? Comment défendre l’auto-organisation et l’autonomie de la lutte face aux courants politiques, aux récuperateurs, aux autoritaires? Comment faire face à la repression qui cherche à isoler les éléments les plus incontrôlables? On a eu l’occasion de les affronter lors de cette lutte à Bruxelles et on aura sans doute encore l’occasion dans l’avenir. Comme quand les compagnons n’ont pas arrêté d’insister sur la nécessité de l’attaque et de l’hostilité envers l’Etat et les institutions, aussi aux moments où les journalistes ont fait planer le spectre du terrorisme sur cette lutte, quand les citoyennistes et d’autres se sont publiquement distanciés des actions directes, quand la répression est venue toquer à la porte. Comme quand les copains en lutte contre la maxi-prison ont envoyé chier les petits politiciens qui voulaient s’aggriper à l’agitation autonome qu’on développe dans les bas-quartiers de Bruxelles, quand les journalistes ont été envoyés chier, quand ceux qui rêvaient peut-etre de transformer cette bataille en petit bras-de-fer entre militants politiques et responsables institutionnelles ont été envoyé ballader. Ce sont des moments qui vont marquer une lutte, qui déterminent même son caractère insurrectionnel et anti-institutionnel, qui peuvent la rendre irrecuperable et incontrôlable.

Mais tout ça sera sans doute mieux abordé lors de ces soirées de discussion. Ce qui ne sera peut-être pas abordé par contre, c’est de se demander si les modalités requises pour un tel échange, un échange sur les perspectives d’une projectualité insurrectionelle et autonome, sont en effet réunies là où ces débats ont lieu. Tout comme on ne peut pas parler de liberté à l’ombre d’une église, il est difficilement imaginable (sauf qu’à couteaux tirés) de parler de conflictualité permanente à l’ombre de pratiques de conflictualité alternée (“mort aux flics” un jour, “l’incolumnité” pour les indicateurs le lendemain; la “solidarité avec les compagnons incarcerés” un jour, l’accueil silencieux du “soutien” de magistrats et prêtres apres-demain; l’hostilité envers les institutions un jour, les alliances avec des forces para-institutionnelles le lendemain;…). Des erreurs peuvent être commises, des mauvais évaluations peuvent être faites, mais si on en discute, cela doit être pour les dépasser définitivement, par pour les théoretiser comme faisant partie de l’arsenal de méthodes de lutte anarchistes et les justifier (dans le passé, le présent et donc tragiquement l’avenir).

Cette conflictualité alternée, qu’on a cru voir se repandre en Italiedepuis quelques temps, est à mille lieux de ce que cette lutte contre la maxi-prison essaye de faire. Alors, effectivement, peut-être des débats pourraient créer des ouvertures pour jeter une fois pour toutes à la poubelle les pratiques de politiciens qui ont envahi le mouvement anarchiste, l’abandon de l’éthique en faveur de la strategie, la calomnie et la menace plutôt que le débat critique. Ce sera réellement magnifique et incroyable si une modeste expérience telle que la lutte contre la maxi-prison pourrait apporter des éléments à ce fin. Ce serait une démonstration que les projectualités autonomes et insurrectionnelles ne connaissent pas de frontières, qu’elles peuvent se rencontrer et se renforcer, se soutenir et s’entre-aider. Mais est-on sûr de pouvoir faire ça au milieu d’histoires loin d’ être définitivement adressées (dans le bon sens) de dissociations d’actions directes, de l’échec total et éclatant de la stratégie politique adoptée par certains anarchistes à differentes occasions et la perte de leur âme même qui en suit fatalement, de l’insupportable danse macabre d’alliances politiques, de jeux de représentation, de délegation operationnelle?

Alors, si le choix ne peut pas etre celui de la résignation, si on ne peut pas juste se dire “mais laisse pisser et continue ta route”, si on n’a pas envie d’aller participer à de tels debats dans des endroits où, par volonté ou pour omission ou par comodité, semble plutot être porté le contraire de
ce qu’une lutte comme telle contre la maxi-prison cherche à expérimenter, le silence n’a pas non plus été une possibilité.

Qu’il soit clair que nous ne sommes pas du tout de l’avis qu’il serait érroné de vouloir porter le debat sur les methodologies de lutte et les perspectives anarchistes partout. Bien au contraire, c’est tant mieux. Peut-être cette lettre peut alors être lue comme une contribution à a ce débat.
Mais on ne saurait accepter sans broncher qu’il y en a qui pratiquent la conflictualité alternée et le jeu des alliances se saissisent d’une expérience de conflictualité permanente et d’autonomie comme s’il s’agissait de la meme chose, compatible et complémentaire. Comme si, en Italie comme ailleurs, il n’y aurait pas toujours des compagnons, aussi peu nombreux soient-t-ils, aussi défavorables puissent être les conditions de l’affrontement, pour qui les fins et les moyens doivent coincider, pour qui l’éthique anarchiste n’est pas alternable, pour qui l’autonomie n’est pas sacrifiable sur l’autel de la quantité et des potentiels applaudissements.

Car justement, il y a des luttes et des expériences en cours, et sous en certain aspects la lutte spécifique contre la maxi-prison à Bruxelles en peut être un exemple, qui démontrent que pour dévélopper une lutte insurrectionnelle (avec d’autres rebelles et revoltés qui ne sont pas des anarchistes), il n’y a aucun besoin de laisser nos idées et nos méthodes de lutte à la porte d’entrée de l’occupation, de la vallée, des mines, des forests, des quartiers. Dans ces temps obscures, ce sont certes des points de débat importants pour les anarchistes qui n’ont pas abandonnée l’idée de la révolution sociale. La quantité ne doit jamais l’emporter sur la qualité. Et la récherche de la qualité ne nous empêche en rien d’intervenir dans les rapports sociaux sur lesquels la domination est basée. Avec un peu de bonne volonté et le rejet radical de la politique, certains fausses oppositions qui gangrènent le développement d’une perspective révolutionnaire anarchiste n’aurait plus lieu d’être.

Mais il existe des fossés qui sont infranchissables. Celui qui s’y aventure quand même, fait un salto mortale. C’est un salto mortale de croire que éthique et stratégie peuvent aller ensemble. C’est un salto mortale de croire que hommes de pouvoir (politiciens, magistrats, représentants du savoir universitaire, chefs d’organisations politiques, experts, élus, prêtres,…) et autonomie de lutte sont complémentaires. C’est un salto mortale de croire que la conflictualité permanente n’exclut pas, toujours et partout, quelconque dialogue avec le pouvoir, aussi insidieux et camouflé qu’il soit. C’est un salto mortale de croire que la pratique du sabotage réquiert l’approbation d’une quelconque assemblée ou la légitimation par un Mouvement. Ces saltos mortales sont des poignards plantés au coeur de l’anarchisme, et on ne devrait pas se fatiguer de s’en défendre.

Quelques absents

[Reçu par mail, 17 janvier 2016]

Sans fleurs ni couronnes

« Les mots n’ont pas de valeur en soi, mais pour le sens qui leur est attribué. Il faut donc toujours bien se mettre d’accord sur le sens des mots utilisés, et faire attention à ce que des gens sans scrupules ne fassent pas usage des mots qui ont le plus de popularité, à travers lesquels ils font passer sous une fausse étiquette la marchandise avariée de leurs propres intérêts économiques et politiques. »

Max Sartin, La magia e il senso delle parole, 1935

I. Autonomie

Chacun sait que le langage n’est pas neutre. Que c’est un moyen souvent insatisfaisant pour exprimer ses idées. Pourtant, si on veut pouvoir les communiquer à d’autres et en approfondir le contenu, il vaut mieux s’entendre sur le sens des mots. Dans les milieux anti-autoritaires comme ailleurs, cela va de moins en moins de soi. Une même idée, courante, emprunte même parfois des significations si éloignées les unes des autres (en assemblée par exemple), qu’on en vient à se demander s’il s’agit juste d’une banale incompréhension ou si ce n’est pas la manifestation d’une confusion généralisée en progrès constants. Prenons parmi tant d’autres le mot « liberté« , régulièrement transformé en conquête ou préservation de droits garantis par l’Etat (comme la fameuse « liberté de« ) ou exprimé sous forme d’oxymore (comme dans la défense du « marché libre » des biffins). Mais la liberté peut-elle vraiment être quelque chose de quantifiable, le synonyme abstrait d’une augmentation des choix possibles, ou n’est-ce pas au contraire l’expression de toutes les possibilités différentes qui peuvent se déployer dans le rapport avec les autres  ? La liberté ne peut pas être enfermée à l’intérieur de lois et de règles valables pour tous, elle peut seulement naître du libre accord entre individus, en l’absence donc de tout système ou rapport autoritaire (Etat, capitalisme, religion, patriarcat).
Que le langage ne soit pas neutre, ne soit pas simplement descriptif, les autoritaires en tout genre l’ont compris depuis longtemps. Celui qui contrôle le sens des mots peut s’assurer d’une capacité considérable de maîtrise des esprits. Le pouvoir a ainsi toujours cherché à leur donner le sens qui l’arrange, qu’on songe par exemple à celui de terrorisme, qu’il dégaine d’un jet ininterrompu et à tout va depuis bien trop longtemps*. Partout où il y a une masse à manoeuvrer (ou une illusion de), on peut retrouver cet art de la politique qui consiste à travestir les faits en changeant les mots, y compris donc dans le soi-disant mouvement anti-autoritaire où les idées gauchistes font un retour en force depuis quelques années.
Dans leur miroir déformant, réduire les individus à leur couleur de peau n’est ainsi plus du racisme, mais devient une lutte contre les privilèges. Justifier la soumission à un code de loi gravé dans un vieux bouquin n’est plus une manifestation par excellence de l’autoritarisme (à combattre), mais devient une simple manifestation culturelle (à soutenir) ou une banale opinion (à tolérer). Jeter des pierres sur des journalistes ou des élus en toute occasion ne signifie plus manifester son hostilité irréductible avec le pouvoir, mais devient un manque d’intelligence tactique dans la composition avec lui. Dans la vague actuelle de renversement des contenus et de leur instrumentalisation au sein du mouvement, il n’est alors pas étonnant que même des concepts jusqu’à hier chers à beaucoup, comme l’autonomie ou l’auto-organisation, soient à leur tour vidés de leur sens par leurs partisans mêmes, neutralisant leur force pratique et les privant de leur portée potentiellement subversive. Faute de perspective révolutionnaire, au nom du pragmatisme ou de l’efficacité, de l’élargissement ou de l’ancrage sur un territoire, par esprit de grégarisme ou d’adaptation à un existant toujours plus trouble, l’heure semble de moins en moins à la diffusion de pratiques anti-autoritaires, et toujours plus à leur dilution au sein d’alliances de circonstance avec des politiciens de service (mais dans le respect de la diversité de chacun, hein  !).
Et c’est peut-être comme cela, petit à petit, que l’éditeur officiel de tout un ramassis d’ordures a pu soudain se transformer en une opportunité à saisir pour d’anciens amateurs de la guerre sociale.

II. Le sens plutôt que la règle

«  Forger et utiliser ses propres moyens de lutte placerait-il de fait en-dehors du champ des luttes sociales  ? C’est le discours que tiennent l’Etat et ses relais directs car ils défendent leurs intérêts…  »

Kalimero Paris, février 2008

En matière d’autonomie et d’auto-organisation, prenons le dernier cas d’école en date, à savoir les « membres » d’un collectif francilien qui participent « à des luttes ou à des mouvements sociaux« , et qui ont décidé de commercialiser leurs travaux en janvier 2016 chez Syllepse, une maison tolérante dont l’ouverture d’esprit avait été jusque là trop négligée par une partie du mouvement. Certes, prôner l’auto-organisation et la critique de la marchandise tout en alimentant de ses analyses les étals des supermarchés n’est pas nouveau, et ils n’ont pas beaucoup de mérite. Les stratèges blanquistes de la composition avaient déjà rouvert cette voie fructueuse avec l’éditeur de flic et de juge La Fabrique en 2007, avant que des vendeurs de mauvaise soupe ne les imitent en 2014 avec leurs trajectoires alternatives débitées chez l’éditeur du Mieux vaut moins, mais mieux de Lénine (ed. l’éclat). Mais tout de même, si des critiques du langage et de l’idéologie de la procédure pénale ont fait le choix d’un éditeur comme Syllepse, qui avait publié en 2011 un ouvrage coordonné par une magistrate dénonçant une « politique qui échoue à lutter contre la délinquance et qui désorganise la police et la justice » avant de suggérer « de nombreuses propositions alternatives en matière de fichage et de vidéo-surveillance » **, c’est qu’il doit bien y avoir une raison ou une cohérence quelque part. D’autant plus que leurs réunions se déroulent depuis des années dans un local dont les participants affichent justement leur ambition de « subvertir les rapports sociaux,c’est-à-dire remettre en cause cette société et la renverser« , à travers une « autonomie » définie comme une manière de s’organiser « hors des syndicats, des partis, des structures hiérarchiques« .

Afin de lever toute ambiguïté et pour ne pas en rester sur ce qui relève manifestement d’un télescopage malheureux au sein des collections de Syllepse -un peu comme si l’auteur d’un bouquin titré Mort à la démocratie donnait une interview à une grande radio d’Etat pour en faire la promotion-, faisons donc un rapide tour du propriétaire. Pour commencer, on pourrait consulter la quarantaine d’ouvrages de la Fondation Copernic publiés ces quinze dernières années par l' »alter-éditeur, engagé et non partisan« , mais aucun estomac n’y résisterait bien longtemps. Et de toutes façons, pour connaître les idées professées par ladite Fondation, inutile de se plonger dans l’écoeurante mixture qui mijote sous la bannière de « l’anti-libéralisme ». Le parcours de ses présidents successifs (1998-2015) suffira amplement  : Yves Salesse (ex dirigeant national de la LCR, ex du cabinet du ministre communiste des transports Gayssot, ex porte-parole de Bové à la Présidentielle), Évelyne Sire-Marin (vice-présidente du TGI de Paris, ex Présidente du Syndicat de la magistrature et soutien de Mélenchon à la Présidentielle), Roger Martelli (membre du Parti communiste et ex de son Comité central), Caroline Mécary (ex conseillère régionale EELV et toujours conseillère de Paris), Janette Habel (ex du bureau politique de la LCR et signataire du Mouvement pour la sixième République), Pierre Khalfa (ex porte-parole de l’Union syndicale Solidaires et membre du Conseil scientifique d’Attac). N’en jetez plus, la poubelle déborde  !
La « forme grammaticale qui privilégie les accords fondés sur le sens plutôt que sur la règle« , à laquelle Syllepse a emprunté son nom, a certainement trouvé avec la Fondation Copernic un accord à la hauteur de ses ambitions  : être l’éditeur privilégié d’un des principaux laboratoires de la main gauche de l’Etat. Le genre de laboratoire indispensable pour redorer la façade craquelée du pouvoir, tenter d’éteindre les incendies qui couvent à sa base et imaginer comment lui assurer un semblant de légitimité sociale en temps de restructurations économiques. Tout de même, drôle d’endroit pour une Caisse d’auto-défense collective. A moins que ce ne soit leur désir commun de mouvement social et de collectif qui les ait réunis, puisque l’éditeur précisait dès son Manifeste de juin 2004 vouloir offrir « une caisse de garantie qui permet à tous nos auteurs de mener leur projet à bien et une caisse de résonance pour leurs idées« , ou encore que « notre force tient aussi à notre lien avec les mouvements sociaux« . Mais le problème, quand on nie à ce point l’individu, c’est qu’on finit très vite mal accompagnés,

Oublions donc vite fait cette collection particulière, Notes et Documents de la Fondation Copernic, et tentons de trouver un peu d’air frais du côté des dizaines d’autres collections du nouveau venu dans l’ex mouvance autonome. Là, surprise ou pas, on tombe sur des spécialistes de la vie des autres (dont des psys en tout genre), des prêcheurs d’Etat (universitaires ou de lycée) et autres autoritaires historiques (avec une prédilection pour les auteurs trotskystes, dont les 944 pages du boucher de Kronstadt parues en avril 2015 pour rappeler l’importance du front unique antifasciste***). Les autres collections remarquables de Syllepse se nomment par exemple ATTAC, Contretemps (revue dont le n°14 de 2012 contenait cet immanquable article titré « Syriza ou l’espoir retrouvé« ), Espaces Marx, Les Cahiers de Critique Communiste, Mille marxismes (avec ces magnifiques « La politique comme art stratégique » et « Le dernier combat de Lénine » de 2011 et 2015) ou encore Séminaire marxiste… Réconcilier la rigidité théorique du passé avec le meilleur du réformisme du présent, en voilà bien un projet qui semble avoir trouvé son marché, si on en juge par les centaines d’ouvrages sortis chez Syllepse depuis 1989. En même temps, c’est vrai qu’à force de fréquenter les allées du pouvoir, on se perd moins dans le dédale de ses financements.
Mais comme il serait ingrat de demeurer en si mauvaise compagnie sans faire un détour par LA collection qui se veut un peu plus terre-à-terre, jetons un dernier coup d’oeil sur Arguments et Mouvements, dont le postulat est que les « acteurs du mouvement social et les mouvements sociaux produisent des idées, émettent des propositions, interprètent le monde et agissent sur lui » (merci pour eux). Des idées et des propositions qu’il aurait en effet été trop bête de gâcher en ne les récupérant pas au sein des différents rackets de la gauche de la gauche. Mais qu’on se rassure, la conception du mouvement social de Syllepse n’a même plus de quoi incendier un Palais d’Hiver, et va au mieux réclamer quelques miettes tout en pacifiant le rapport capital/travail  : on retrouve pêle-mêle dans cette collection qui vient donc d’éditer Face à la police/Face à la justice de la Caisse d’auto-défense collective de Paris/Banlieue (Cadecol), des livres signés Syndicat Solidaires des finances publiques, Syndicat national des chercheurs scientifiques, Syndicat National Unifié des Impôts, Sud-Étudiant ou encore VISA (« association intersyndicale unitaire composée d’une cinquantaine de structures syndicales  : la FSU et plusieurs de ses syndicats, l’Union syndicale Solidaires et plusieurs de ses syndicats, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF et le Syndicat de la magistrature« ).
Arrivés à ce stade, on se dit que, franchement, ce n’est pas juste un mauvais hasard ou de la naïveté, mais un véritable choix tactique qui a fait s’accoupler dans un ballet abject le livre de la caisse des autonomes franciliens avec (notamment) celui de la vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, grâce à un éditeur commun qui annonce clairement ses intentions  : « nos livres parlent séparément mais frappent ensemble » (à la porte des institutions), parce que leurs multiples langues débouchent « vers des compréhensions communes, vers une langue partagée, vers un sens commun, vers des «  tous ensemble  » de la pensée et de l’action« .

III. Les moyens de leurs fins

Dans son court texte de présentation technique, Cadecol se définit comme un outil à « utiliser de manière autonome afin se donner en amont les moyens de s’organiser le plus efficacement possible contre la répression« . Si ce collectif apporte à son tour sa petite pierre pour vider à sa manière le mot autonome de la charge subversive qu’il pouvait encore contenir -comme d’autres l’ont fait avant lui-, ne peuvent pourtant rester surpris que celles et ceux qui s’étaient arrêtés au début de la phrase. Car que peut bien vouloir dire une expression aussi absolue que « le plus efficacement possible« , sinon déconnecter absolument les fameux moyens des fins  ? C’est un vieux truc qui permet de tout justifier au nom d’un intérêt commun supérieur (le maximum d’efficacité supposée… et donc l’art du calcul spéculatif), laissant le champ libre à une poignée de fins dialecticiens qui viendront nous éclairer du haut de leur clairvoyance. Le Comité invisible, qui en connaît un rayon sur le sujet, avait logiquement choisi de vendre sa soupe chez un fana de Lénine. La Caisse francilienne a choisi de son côté de se donner des moyens de s’organiser en amont en s’offrant à un fana de Trotsky. Une différence qu’on ne s’explique autrement que par la composition des assemblées du dit « mouvement social » selon les périodes et le sujet du moment (la CGT des raffineries, c’est pas le NPA des réfugiés).

Quant aux autres, tous les autres, pour qui la fin ne justifiera jamais les moyens, pour qui un éditeur de centaines de conseillers du prince restera toujours un ennemi à combattre plutôt qu’un allié provisoire à utiliser ou avec lequel s’accoquiner, pour qui s’organiser de façon autonome signifie s’associer entre individus révolté-e-s dans un espace de lutte anti-autoritaire où les mots et leur sens ne sont pas mutilés…
…l’horizon de la solidarité et de l’offensive sera toujours bien plus vaste et bien plus respirable que tous les marigots du plus efficacement possible.

Sans fleurs ni couronnes,
Bagnolet, début janvier 2016

* Car si le terrorisme signifie frapper dans le tas de manière indiscriminée pour tenter de préserver ou conquérir le pouvoir, et que l’Etat n’en a pas toujours le monopole exclusif, une affiche rappelait également fort à propos il y a quelques années à quel point ce terme avait été biaisé et restreint de manière instrumentale  : « Dans ce monde à l’envers, le terrorisme ce n’est pas contraindre des milliards d’êtres humains à survivre dans des conditions inacceptables, ce n’est pas empoisonner la terre. Ce n’est pas continuer une recherche scientifique et technologique qui soumet toujours plus nos vies, pénètre nos corps et modifie la nature de façon irréversible. Ce n’est pas enfermer et déporter des êtres humains parce qu’ils sont dépourvus du petit bout de papier adéquat. Ce n’est pas nous tuer et mutiler au travail pour que les patrons s’enrichissent à l’infini. Ce n’est pas même bombarder des populations entières. Tout cela, ils l’appellent économie, civilisation, démocratie, progrès, ordre public. »
(Qui sont les terroristes  ?, avril 2008)
** Selon le résumé promotionnel disponible sur le site de l’éditeur. Ficher, filmer, enfermer, vers une société de surveillance  ?, coordonné par Evelyne Sire-Marin, ed. Syllepse, février 2011
*** Une position toujours défendue par l’un des coordinateurs du livre de Trotsky et fondateur historique toujours en place de Syllepse, Patrick Silberstein, par ailleurs pétitionnaire multirécidiviste en compagnie d’élus de gôche, ex dirigeant de Ras l’Front et un des animateurs de la campagne.présidentielle de Bové.

[Publié sur indymedia nantes, 09/01/2016]