[Publication] Quelques considérations sur la récente mode racialiste

Texte écrit à l’occasion de la discussion publique à « La Discordia », Ni racisme, ni racialisme, ni races : Sur la récupération du racisme par la gauche (et vice-versa).

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Contre le racisme ou pour les races ?

affiche_contre_marche_ne_marchons_pas-0bab7Le 31 octobre 2015 a eu lieu, à Paris, la « Marche de la dignité et contre le racisme ». Cette marche a été une espèce de vitrine (et à servi à mesurer les capacités de mobilisation) de la galaxie racialiste qui sévit, depuis quelques temps de façon plus visible, dans le champ politique/associatif français.

Le comptage est vite fait : pas plus de 3500 personnes, tandis que les organisateurs en espéraient plusieurs dizaines de milliers. Signe que les prolétaires issus de l’immigration non européenne, auxquels ces groupuscules d’universitaires et de militants associatifs voudraient s’adresser, se foutent de cette tentative de récupération politique et refusent de fait de servir de main d’œuvre (heureusement).

Cette marche aurait soi-disant été appelée par le MAFED, un collectif de femmes « racisées » (c’est à dire issues de l’immigration non européenne – et de ce seul fait victimes des discriminations racistes autoproclamées par principe, sans aucune prise en compte de leurs positions sociales [1], dont la porte-parole est Amal Bentounsi. Il n’y a plus besoin de démontrer que ce collectif est une structure fantoche et que cette marche a été appelée publiquement à l’occasion du dixième anniversaire du Parti des Indigènes de la République, en mai dernier [2]. Elle aurait voulu être (sans portant y parvenir) le tapis rouge déroulé aux idées racialistes au sein de l’extrême gauche, de l’« ultragauche », de la galaxie associative et même de toute l’aire à prétention « radicale ».

Mais qu’est ce c’est que cette nouvelle mode, le « racialisme » ?

Les racialistes, ces récupérateurs de gauche du racisme, veulent, tout comme les racistes tout court, insérer les individus avec leurs unicités dans des cases : les races. Ces cases raciales sont censées découper l’ensemble de l’humanité selon des critères anthropomorphiques ou culturels. Mais qui établit les critères, parmi les innombrables qui me différencient d’autrui, m’en rapprochent suffisamment pour dire qu’on appartient à une même « race », « nation » ou culture ? La couleur de ma peau, de mes cheveux, de mes yeux ? Une des langues que je parle (tout en sachant que je pourrais en apprendre plein d’autres) ? Un bout de papiers qu’un quelconque État a voulu ou pas me donner ?

Le racialisme est en effet le frère jumeau du racisme, mais avec le signe de valeur inversé. Je subis le racisme à cause de mon aspect physique ou autre ? À quoi bon lutter contre le racisme en affirmant quelques simples vérités, comme le fait que les races n’existent pas, mais sont des inventions tellement utiles aux différents pouvoirs pour garder la main sur les exploités ? Mieux vaut, nous disent certains intellectuels relativistes qui croient vivre dans les ghettos des États-Unis de l’après-guerre, accepter ces discours immonde, affirmer la séparation des uns des autres selon des lignes raciales. Il suffit juste, pour se différencier du Ku Klux Klan, de maintenir que « black is beautiful » tout en reprenant le fond de leur concept de « suprématisme blanc » (vous pouvez remplacer le classique américain « blanc » par n’importe quelle identité, plus ou moins réelle, plus ou moins fantasmée et le jeu est fait !) ou, encore mieux, de demander des flics issus des minorités, des patrons « racisés », des juges communautaires (quant aux « religions des opprimées » il y en a déjà pas mal !).

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Le P.I.R. et sa porte-parole, Houria Bouteldja, salariée de l’Institut du Monde Arabe, ont à maintes reprises montré de quel côté ils se placent. Racialisme, antisémitisme, misogynie et homophobie sont monnaye courante dans les discours de ceux qui voudraient se présenter comme les porte-paroles des couches populaires issues de l’immigration non européenne. Le P.I.R. se situe complètement dans un camp sémantique et conceptuel basé sur le concept de « race ». Ils rassemblent sous le terme de « traître » Christine Taubira et Rachida Dati. Les deux ont en commun principalement le fait d’être des politiciennes et de d’être ou d’avoir été garde des Sceaux, ce qui devrait les rendre particulièrement haïssables, notamment si, comme certains collectifs ayant participé à la marche du 31 octobre, ont veut protester contre l’impunité policière. Mais pourquoi «traîtres»? «Traîtres» de quoi? Elles n’ont trahi personne : elles appartiennent à la classe dominante (à deux clans politiques concurrents de cette même classe dominante) et leur rôle Place Vendôme est (a été) d’enfermer des personnes issues, pour la plupart, des exploites. Elles sont deux ennemies pour ceux-ci, point barre. Eh, bien, pour nos racialistes, elle seraient des « traîtres » à leurs « races » respectives ! Elles auraient rejoint « les blancs » (tous confondus racistes et dominants) contre les « racisés » Noirs/Arabes/musulmans. Il n’y a pas, dans cette vision manichéenne, de responsabilité individuelle et l’existence même de classes sociales est niée, remplacée par les races (ou « races sociales »). Ainsi, le « prolétariat blanc » (et là ce qui compte n’est pas le premier terme, mais bien le deuxième) dans son ensemble est responsable, pour Sadri Khiari, le théoricien du P.I.R., de la montée en puissance du Front National dans les années 1980. Il parle à ce propos d’une « résistance populaire blanche » aux tentatives d’émancipation des « postcolonisés » [3] (notamment à la «Marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983). Dans cette pseudo-analyse, le seul trait commun d’être « blancs » rendrait toute une grosse partie de la population coupable de connivence avec le FN et, plus en général, de porter des positions de « dominants » sur les « indigènes ». Là aussi il y a une arnaque sémantique qui joue sur le concept de « luttes des races sociales », que aussi Houria Bouteldja a utilisé, entre autre, dans son allocution pour les dix ans du PIR. Mais reprenons les mots de Khiari:« La question qui nous importe exclusivement est celle-ci : qu’est-ce qui spécifie la relation sociale qui produit et oppose, dans le même temps, des groupes sociaux hiérarchisés qui se pensent et s’opposent comme races, délimitées par des différences imaginées et réifiées ? À travers quelles logiques sociales, quelles confrontations politiques, l’illusion des races dénoncée par les antiracistes recouvre-t-elle une réalité sociale tout à fait concrète, la lutte des races sociales ? » [4]. Khiari évacue ici d’emblée la question de la non existence des races humaines et de l’origine réactionnaire de la théorie des races. Il nous dit que les races sont là parce que des groupes sociaux se pensent en ces termes… Quelle finesse ! Et les groupes de hooligans des différentes équipes de foot, qui eux aussi sont des « groupes sociaux qui se pensent et s’opposent par des différences imaginées et réifiées », on les utilise aussi pour comprendre le monde parce que « ils luttent » ? Khiari et consorts s’approprie le concept de race en l’hybridant avec celui de lutte sociale, mais en faisant cela le résultat est de cautionner la théorie de la race tout en collant dessus des caractéristiques sociales qui ont comme but de la rendre acceptable par l’extrême gauche.

En plus, cette catégorie de « race sociale » est assez floue pour y faire entrer tout ce qu’on veut. Regardons ce que le P.I.R. appelle « indigènes » : « Noirs, Arabes et musulmans » [5]. Entrent ici en jeu une catégorie basé sur un aspect physique, une basée sur une supposée appartenance culturelle et une sur l’appartenance religieuse. Le seul point commun à ces trois catégories déjà absolument foireuses en elles-mêmes serait l’opposition au « pouvoir raciste » qu’on identifie non pas à un rapport social, mais d’emblée aux « blanc », et le tour est joué !

Une marche pour quoi faire, donc ? Pour se présenter comme « le nouveau visage de l’antiracisme », comme ils le disent. La volonté évidente du pot pourri composé de groupuscules et d’associations appelant à la marche du 31 octobre est en effet celle de s’approprier de la légitimité morale du combat contre le racisme. Un combat qui, au delà des tentatives de récupération politicienne, a été jusqu’ici mené par des révolutionnaires et par les intéresses eux-même, comme les feux de novembre 2005 ou ceux de Venissieux dans ces lointaines années 81 et 83 nous montrent très bien. Une simple tentative de racket politique aux issues complètement réformistes, donc, auquel la gauche nous a depuis longtemps habitués ?

Mais cette marche est peut-être aussi une tentative de fédérer du monde autour du PIR, pour lui donner une « vraie » existence de parti politique, à des fins électorales ou de lobbying. Ils ne se contenteraient plus du « bruit médiatique » qu’ont toujours suscité leurs prises de positions merdiques ? Suivant l’air du temps (une forte attention médiatique, ainsi qu’au sein de l’« ultragauche » pour l’ « islamophobie ») le PIR cherche-il de faire le grand coup ? Il y a certainement tout cela, mais pas que.

La suite à lire en pdf trouvé sur le site de la bibliothèque anarchiste La Discordia.

Notes:

[1] Quelques exemples : profs et chercheuses à la fac, comme l’historienne Françoise Verges (issue de la puissante famille mandarinale qui pendant deux génération a géré La Réunion pour le PCF), figures publiques comme Amal Bentounsi, jokers féminins du fondamentalisme islamique comme Ishmane Chouder (du sinistre mouvement religieux Participation et Spiritualité Musulmane et que la commission Droits des Femmes de Sud Éducation Créteil ne se gène pas pour inviter à ses stages de formation, comme pour le stage « Féminisme, anti sexisme et questions de genre » en février 2015) ou encore la chercheuse et « féministe musulmane » Hanane Karimi (qui écrit des textes pour le Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique, dirigé par Tariq Ramadan).

[2] Comme il le disaient dans l’appel pour l’anniversaire.

[3] Sadri Khiari, La contre-révolution coloniale en France. De de Gaulle à Sarkozy, La Fabrique, janvier 2009 ; p. 186 et 188.

[4] Ibid ; p. 21.

[5] Un exemple parmi plein d’autres : « Notre priorité : unir les Noirs, les Arabes et les musulmans », dans « Face au pouvoir raciste qui oppose les Noirs et les Arabes, construisons l’unité de tous les anticolonialistes ! », rubrique « Mieux nous comprendre », sur le site du P.I.R.