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[Publication] Ni de leur guerre, Ni de leur paix !

« Nous devons anéantir les ennemis de la République… et déchoir de la nationalité ceux qui bafouent ce qu’est l’âme française »
Manuels Valls, Premier ministre,
14 novembre 2015

S’il faut reconnaître une certaine continuité à la République française, c’est bien celle des assassinats de masse. De la Terreur d’Etat de 1793-94 qui a justement donné naissance au mot terrorisme jusqu’à l’écrasement des insurgés de 1848 et de ceux de la Commune de 1871 ; de la colonisation ou la déportation des Juifs permise par des fichiers antérieurs jusqu’aux massacres de manifestants algériens en 1961 en plein coeur de Paris, toutes les Républiques françaises ont massacré sans compter pour que des puissants continuent de dominer et d’exploiter tout le monde. La République française est une montagne de cadavres dont l’ordure qui en constitue le sommet n’a pu se maintenir en place qu’en écrasant ses véritables ennemis, les révoltés et les révolutionnaires qui se sont battus pour un monde de justice et de liberté. L’ «âme française», si cette connerie sans nom pouvait jamais exister, serait un placard bourré à craquer de voix criant vengeance contre les bourgeois, les politiciens, les flics, les militaires et les curés qui les ont piétinées pour asseoir leur pouvoir.

Ah, mais tout ça c’est du passé. Non ? Des décennies de participation citoyenne, d’intégration marchande et de dépossession généralisée ont-elles vraiment fait oublier à ceux qui gardent encore un brin de sensibilité, que tirer dans le tas n’est pas l’exclusivité de lointains terroristes ? Que depuis quelques années l’Etat français a fait son grand retour sur la scène internationale du terrorisme étatique, en multipliant ses attaques militaires aux quatre coins de la planète (Libye, Mali, Afghanistan, Côte d’Ivoire, Somalie, Centrafrique, Irak, Syrie) ? Le prétexte change à chaque fois, mais les raisons restent les mêmes : garder le contrôle de ressources stratégiques, gagner de nouveaux marchés et zones d’influence, préserver ses intérêts face à ses concurrents, éviter que des insurrections ne se transforment en expérimentations de liberté. Et s’il en était encore besoin, des avertissements sont même lancés pour prévenir les indolents que cette logique de guerre ne connaîtra pas de limites territoriales : la mort d’un manifestant l’an dernier à Sivens ou les corps criblés d’éclats de ceux de Notre-Dame-des-Landes et de Montabot rappellent que les grenades offensives en kaki n’hésitent pas, ici non plus, à être lancées contre des foules pour semer la terreur.

Car qu’est-ce que le terrorisme, sinon frapper dans le tas de manière indiscrimée pour tenter de préserver ou conquérir le pouvoir ? Un peu comme le font les riches en tuant et mutilant quotidiennement des millions d’êtres humains au travail au nom du fric qu’ils tirent de leur exploitation. Un peu comme le font les industriels et leurs laquais en blouses blanches en empoisonnant durablement toute vie sur terre. Un peu comme tous les Etats qui enferment et torturent à petit feu les exclus de leurs paradis marchands et les rebelles à leurs lois en les enfermant entre quatre murs pendant des années. Un peu comme ces grrrandes démocraties qui ont fait de la Méditerranée un cimetière peuplé de milliers d’indésirables ayant eu le tort de ne pas disposer du petit bout de papier adéquat. Mais la paix de l’Etat et du capitalisme est à ce prix. La paix des puissants, c’est la guerre contre les dominés, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.

Le 13 novembre à Paris, la règle du jeu a été respectée. Qu’il se baptise islamique ou république, califat ou démocratie, l’Etat reste l’Etat, c’est-à-dire une puissance autoritaire dont la violence de masse s’applique contre tous ceux qui ne se soumettent pas à son ordre souverain. L’un des principes de tout Etat est de ne reconnaître que des sujets. Des sujets qui doivent obéir à des lois dictées d’en haut, c’est-à-dire tout le contraire d’individus libres qui peuvent s’auto-organiser sans dirigés ni dirigeants. Des bombardements de Dresde et Hiroshima jusqu’aux villages du Vietnam passés au napalm ou ceux de Syrie sous des barils de TNT, les Etats n’ont jamais hésité dans leurs sales guerres à sacrifier une partie de leur propre population, ou celles de leurs concurrents. En frappant des passants parisiens au hasard pour punir leur Etat, les petits soldats de Daech n’ont fait que reproduire l’implacable logique de leurs concurrents. Une logique terrible, aussi terrible que peut l’être tout pouvoir étatique

L’état d’urgence décrété en France depuis hier, mesure de guerre intérieure d’un gouvernement qui place le pays en adéquation avec sa politique de terrorisme international, n’est qu’un pas de plus dans la praxis de base de n’importe quel gouvernement, visant à la normalisation forcée de la vie, à sa codification institutionnelle, à sa standardisation technologique. Parce que si l’Etat regarde le futur, que voit-il ? Des cracks économiques, un chômage de masse, un épuisement des ressources, des conflits militaires internationaux, des guerres civiles, des catastrophes écologiques, des exodes de population… Il voit en somme un monde toujours plus instable, où les pauvres sont toujours plus nombreux et concentrés, un monde suintant de désespoir, qui se transforme en énorme poudrière, en proie à des tensions en tous genres (sociales, identitaires, religieuses). Un monde où l’allumage de la moindre étincelle, quelle qu’elle soit, ne doit pas être tolérée par une démocratie toujours plus totalitaire. Alors, tout comme « citoyen » est l’autre mot pour « flic », la « guerre au terrorisme » signifie avant tout la guerre contre tous ceux qui rompent les rangs du pouvoir. A tous les insoumis de la pacification sociale, à tous les déserteurs des guerres entre puissants et autoritaires, sabotons l’Union nationale…

Un mauvais sujet,
ennemi de la République et de tous les Etats

Paris, 14 novembre 2015

Le tract au format PDF

[Publié sur indymedia nantes, 15 novembre 2015 à 03h19]

[Espagne] Lettre sur les dernières arrestations et incarcérations lors de « l’opération Piñata »

[Lundi 30 mars, la police anti-terroriste lançait 17 perquisitions et arrêtait 15 compagnonNEs à Madrid, Palencia, Grenade et Barcelone lors d’une opération dénommée Piñata. Lors des perquisitions, 24 autres seront brièvement arrêtés pour avoir résisté à ces dernières (notamment dans les squats). Accusés d’être responsables ou membres des « Groupes anarchistes coordonnés » (GAC), c’est-à-dire d’ « association terroriste », dix compagnons seront relâchés sous contrôle judiciaire (confiscation de passeport, interdiction de sortie du territoire et pointage tous les 15 jours) et cinq autres sont toujours incarcérés en préventive à Soto del Real.]

Lettre aux compagnons et amis anarchistes et antiautoritaires sur les dernières arrestations et incarcérations lors de l’« Opération Piñata »

« Ne jamais céder, ne jamais se rendre »

Après le dernier coup répressif dans l’État espagnol, le bilan de la désastreuse et démesurée « Opération Piñata » est de 5 compagnons séquestrés en prison. Face à leur répression, notre solidarité est l’action directe. Que les barreaux ne nous séparent pas et que la peur ne nous paralyse pas.
La réponse de nos amis et compagnons au moment des arrestations mérite d’être admirée : ils ont montré leur soutien dans la rue avec une mobilisation le jour même, tout comme lorsque nous somme sortis, ce qui a mené à des arrestations et des affrontements avec la police. Dès le premier moment, les gens ont mis les mains à la pâte afin que les personnes arrêtées ne manquent de rien et nous voulons vous dire, à vous qui avez été sur le pied de guerre, que c’est ainsi que nous l’avons tous perçu de l’intérieur et c’est avec cette sensation que ceux qui, n’ayant pas eu la même chance que nous, sont partis vers le Centre d’extermination de Soto del Real [la prison de Madrid]. Aussi insignifiant que cela puisse paraître de l’extérieur, des détails comme le fait de venir protester et nous chercher aux portes de l’Audience Nationale, sont des gestes qui à l’intérieur font sentir que nous sommes pas seuls et cela a certainement permis à ceux qui ont dû partir pour Soto d’affronter cette nouvelle d’une autre manière. C’est un acte courageux de la part de ceux qui ont tenu tête tout en sachant que d’autres arrestations pouvaient se produire.

Cette lettre veut appeler tous les compagnons, proches, mis en examen et prisonniers concernés par le dernier coup de filet contre les anarchistes à ne pas perdre les nerfs, c’est un appel à la solidarité, à la force et au courage. Le coup n’a pas été seulement pour nous qui affrontons en chair et en os les graves accusations et les constructions policières et judiciaires, il concerne l’ensemble du mouvement qui se voit pris dans une offensive qui a débuté vers 2011 avec l’incarcération d’un compagnon à Madrid et s’est accentuée à Barcelone et Madrid depuis l’incarcération de Francisco et Mónica, l’Opération Pandora et maintenant, jusqu’à nouvel ordre, l’Opération Piñata.
Logiquement nous allons voir se répéter des processus de ce genre qui sont quelque chose de routinier et de cyclique dans la lutte, lorsqu’il s’agit de maintenir et de générer des projets continus allant à la racine du problème : l’ETAT.
Dans chaque affaire répressive et à chaque moment politique, historique et pourquoi pas personnel, chaque collectif ou individualité affronte ces processus d’une manière différente et avec des temps distincts.
Nous devons être conscients qu’assumer la répression comme une partie inséparable de la lutte est un processus qui s’apprend avec le temps et que chaque personne est capable de l’assumer à un rythme différent et avec plus ou moins de difficulté. Essayer de normaliser le fait qu’ils rentrent chez toi, qu’ils puissent te torturer, qu’il séquestrent les tiens, qu’ils frappent dans des manifs, qu’ils t’appliquent la loi antiterroriste ou que la première chose que tu vois après trois jours enfermé soit la gueule du juge Velasco n’est une partie de plaisir pour personne et le côté traumatisant de cette situation est tout à fait compréhensible. A un moment ou à un autre, nous avons tous éprouvé de la peur et des doutes et c’est grâce à cette peur que nous pouvons gérer nos réactions face aux risques que nous prenons. La peur est quelque chose de naturel qui nous permet d’agir dans des situations limites ou de stress, et ce n’est pas un problème dès lors qu’on sait la gérer. Le problème, c’est quand elle se transforme en panique et qu’elle nous paralyse, paralysant ainsi la réponse dans la rue et allant en certaines occasions jusqu’à être politisée pour devenir une ligne politique à suivre qui se met en travers de notre chemin à l’heure de frapper avec rage tout ce qui nous a encore menés à cette situation. Donner une réponse à tout cela, c’est sentir que nous sommes toujours vivants.

Il y a une part émotionnelle très importante dans tout cela, évidemment puisque nous sommes des êtres humains et « politiser nos cœurs » n’est pas une tâche facile. Mais derrière les émotions que nous sentons, garder l’esprit froid et agir en conséquence est indispensable à l’heure de répondre à ces atrocités. Il est tout aussi important de nous solidariser avec les personnes à l’intérieur des prisons qu’avec les accusés dehors, en prenant soin les uns des autres, en nous soutenant et en accordant plus de temps à ceux qui peuvent avoir besoin d’assumer tout cela plus lentement, afin de sortir de cela le plus dignement et en nous sentant fiers de ce que nous sommes, en générant un climat de confiance entre compagnons et en évitant que la peur et le pessimisme ne s’emparent de nous.

Il est évident que les énergies du premier jour ne sont pas celles qui nous accompagnent aujourd’hui ; nous avons triplé nos efforts pour tout régler afin que les compagnons emprisonnés ne manquent de rien, et à la longue, l’addition se présente. C’est pourquoi il est important de doser les forces et de prendre les repos nécessaires, avec l’objectif de créer une réponse politique dans la rue qui défende les prisonniers et se lance comme contre-offensive contre l’État, ses juges, ses flics et ses médias, pour ainsi le transmettre hors de Madrid et dans les geôles où se trouvent les compagnons.

L’intention de ce texte n’est pas d’analyser, comme cela a déjà souvent été fait, le pourquoi de tout cela. Divers textes, depuis le cas de Francisco et Mónica jusqu’à maintenant, ont justement détaillé les motifs de ces coups spectaculaires (nécessité d’un ennemi intérieur, justification des mesures répressives, re-définition du terme terrorisme, peur des gouvernements que des révoltes se produisent…). L’intention de ce texte est plus interne et personnelle ; il s’agit d’évaluer une des raisons pour lesquelles l’État fait cela et qui consiste à instiller la peur, ainsi que de tenter de faire une lecture plus intime et vers l’intérieur pour continuer à lutter et à porter notre discours la tête haute.
Le caractère spectaculaire et médiatique des arrestations et des si graves accusations auxquelles nous sommes confrontés font que la psychose se transmet entre nous et que souvent nous oublions de penser que l’État et ses mauvais scénaristes ont construit à leur image un dossier plus proche d’un film de fiction que de quelque chose qui ressemble à un dossier judiciaire. Le mauvais ouvrage qu’ils ont pondu est surtout spectaculaire et médiatique, et les perquisitions et arrestations qu’ils nous ont imposées dans nos maisons et sous notre nez démontrent qu’ils ne croyaient pas eux-mêmes à ce qu’ils étaient en train de faire. Personne ne peut croire qu’une partie d’une « bande terroriste armée » (sans qu’aucune arme n’ait été trouvée) se trouve à présent dans la rue en attente de jugement. Malgré cette construction fantaisiste, les mesures de contrôle et l’infrastructure qu’ils ont utilisées pour leurs enquêtes ont été plutôt importantes et sont typiques de la part de ceux qui veulent contrôler tous nos mouvements ainsi que ceux des personnes proches, pour ensuite déformer, décontextualiser et manipuler à leur guise ces investigations : filatures à pied, en voiture, micros, dispositifs dans des voitures ou écoutes téléphoniques contre nous, pour tout trafiquer comme ils le voulaient. Nous les anarchistes ne cherchons en rien à gagner leur respect, mais nous pensons que manipuler comme bon leur semble nos données est tendancieux et ôte toute crédibilité. Avant tout, nous sommes ce que nous sommes, et nous ne voulons pas nous en cacher.

L’important dans tout ça, c’est d’apprendre des expériences, essayer de surmonter les adversités, nous faire confiance et nous préparer politiquement et émotionnellement pour cela. Face à des cas comme ceux-ci, seule la réaffirmation pourra nous rendre fiers de nous tous et de ce que nous proposons, fermement convaincus que l’anarchie est le seul chemin pour l’égalité entre les personnes, sans hiérarchies, sans leaders, en toute autonomie et sans gouvernement. Il est indispensable et inhérent à l’anarchisme de s’organiser contre l’État et tout ce qui en fait partie, tout en nous défendant de toute offensive contre les anarchistes en démontrant clairement que ceux qui préparent ces coups de filet et ces opérations lamentables sont la plus grande bande organisée et dangereuse qui ait jamais existé : l’Etat, et en pointant cette bande d’assassins, de bourreaux, d’enfermeurs, juges, flics, médias, etc … Ces ignares tentent d’attaquer les anarchistes sur le même modèle que d’autres types d’organisations ou de structures hiérarchisées, démontrant ainsi qu’ils n’ont aucune idée de ce que signifient les idées anarchistes tout en en profitant pour dégrader et dénaturer les idéaux libertaires que nous défendons. Nous, nous n’avons pas de leaders, nous ne commandons pas et nous n’obéissons pas. Des siècles d’histoire anarchiste, sur le point d’être rayée des esprits de beaucoup et censurée par tous les médias officiels, démontrent que la forme organisative des anarchistes est horizontale, sans pouvoir, sans démocratie, sans totalitarismes, dans l’égalité. Essayer de nous convaincre maintenant du contraire, est inutile en plus d’être analphabète. C’est grâce à la démocratie que nous en sommes là où nous en sommes, et c’est la démocratie que nous devons détruire comme système dominant.

Ils veulent en finir avec la solidarité et faire en sorte que les prisonniers soient oubliés, ils veulent en finir avec le soutien mutuel, l’autogestion, les réseaux de soutien, l’action directe … en définitive ils veulent en finir avec les anarchistes, et renoncer à n’importe lequel de ces principes revient à renoncer à nos vies. Les coordinations et les espaces de confluence entre nous sont plus importants que jamais. Si leur objectif est celui-là, une bonne réponse consiste à s’organiser et à commencer à assumer que la répression et dans une plus grande mesure la prison comme conséquence, est quelque chose qui peut arriver tôt ou tard, sinon à nous et à nos proches. Avoir conscience de l’importance de nous sentir forts et fiers, et le démontrer en essayant de ne pas jeter l’éponge, éviter de tomber dans des réformismes ou d’opter pour des chemins plus faciles, est une voie dont « personne n’a dit qu’elle serait aisée ».

Ceci est destiné à tous les compagnons qu’ils ont réveillés comme nous le 30 mars pour nous emmener sous la loi antiterroriste, pour les compagnons qui sont restés dehors avec des choses pas bien plus faciles à résoudre, et surtout à nos frères emprisonnés qui n’ont pas eu la même chance que nous. Pour que nous continuions à avoir l’envie et la force de nous moquer de tout cela et d’eux tous. Leur pénible mise en scène théâtrale n’a pas de nom, et la blague lourde qu’ils nous ont offert a pour certains des conséquences impardonnables.
Pour continuer la tête haute et en nous sentant fiers des 5 personnes emprisonnées lors de cette opération, de Fransisco et Mónica, des personnes sous le coup de l’Opération Pandora, de Gabriel Pombo, de ceux dont nous ne connaissons pas le nom, de tous ceux qui luttent et de ceux qui viendront.
Vous êtes ce qui nous fait aller de l’avant et qui nous maintient en vie. La dignité que vous transmettez après tant d’années d’enfermement mérite que nous, dehors, soyons jusqu’au bout avec vous.

Pour une solidarité active et combative loin des opportunistes et des partis politiques qui veulent tirer profit de la répression. Parce que nous voulons choisir nous-mêmes comment y répondre sans leur permettre de récupérer notre lutte.
Pour la création d’espaces et de coordinations anarchistes.
Pour le débat et la diffusion.
Pour la création d’espaces libérés et autogérés.
Pour l’action directe sous toutes ses formes.
Pour la destruction de l’État et de tout ce qui fait de nous des esclaves.
Contre la démocratie … Pour l’anarchie !!

Liberté pour les anarchistes et anti-autoritaires incarcérés,
A bas les murs des prisons,
Maintenant plus que jamais : Mort à l’État et vive l’anarchie !

[Traduit de l’espagnol de Indy Barcelone par cette semaine, 22 abr 2015]


Pour écrire aux compagnons incarcérés :

Paul Jara Zevallos
Jorge Linares Izquierdo
Javier García Castro
Enrique Balaguer Pérez
Javier Grijalbo Adan

C.P. MADRID V
APDO. CORREOS 200
COLMENAR VIEJO
MADRID C.P. : 28770

Pour en finir avec le Prisonnier Politique

Cela fait quelques années que l’on voit réapparaître le terme de « prisonnier politique ». Un terme que l’on croyait disparu depuis plusieurs décennies, du moins dans les sphères antiautoritaires.

arton3875-69fadUn terme devenu la chasse gardée des diverses sectes marxistes ou maoïstes, d’Amnesty International ou des opposants politiques bourgeois à des régimes autoritaires comme la Russie, la Birmanie ou l’Iran ; ou encore dans le cadre des luttes dites de « libération » nationale, du Pays Basque au Kurdistan en passant par la Palestine ; mais aussi à l’extrême-droite. C’est en partie pourquoi nous nous inquiétons de voir refleurir ce terme ici ou là, dans la bouche de compagnons à travers le monde. Et si nous désirons en finir aujourd’hui et pour toujours avec ce terme, ce n’est pas uniquement parce qu’il va à l’encontre de toutes nos perspectives antipolitiques, contre tous ceux qui veulent nous gérer, nous représenter et nous dominer à travers l’arme de la politique. C’est aussi parce qu’il y a derrière cette résurgence la conséquence malsaine, consciente ou inconsciente, de créer des distinctions entre les prisonniers en ne se basant que sur les « crimes » qu’ils sont accusés d’avoir commis par l’Etat, avec la loupe de son code pénal. Cela crée une hiérarchie selon la vertu supposée des actes incriminés, entre ceux qui méritent le plus d’être libérés ou soutenus, et les autres. Réduisant au néant toute la critique anticarcérale séculaire des anarchistes et antiautoritaires. Ainsi, il s’agit de n’exprimer sa solidarité qu’à des prisonniers incarcérés à cause de leurs idées, au détriment du reste de la population carcérale, complètement oubliée ou juste utilisée pour valider un discours sur son dos.

Mais un prisonnier politique, c’est quoi au juste ? Voyons du coté de la domination : pour le Conseil de l’Europe par exemple, un détenu doit être considéré comme un prisonnier politique si la détention a été imposée en violation de l’une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, en particulier « la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion et d’association ». Mais aussi si la détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit. Mais ce genre de palabres démocratiques concernent-elles des anarchistes ?

Pour être clairs, nous affirmons que la plupart des incarcérations, aujourd’hui comme toujours, sont bien plus liées à des contextes et des raisons politiques qu’à des infractions précises. Car même si dans un procès les accusations sont presque toujours appuyées sur des faits, ce sont bel et bien l’Etat et son système judiciaire qui décident dans quelle mesure réprimer tel ou tel acte spécifique, telle ou telle partie de la population. Car la répression de tous les actes dits « illégaux » est clairement impossible techniquement. Que ce soit en raison du trop grand nombres de lois, des effectifs policiers et autres raisons techniques, ou politiquement, car la tolérance zéro engendrerait des risques de révolte accrus. La répression de l’illégalité (dont l’incarcération est un des moyens) obéit donc à une stratégie et un agenda politique.

N’incarcère-t-on pas pour faire monter ou baisser des chiffres qui serviront aux ambitions électorales de politiciens, pour démontrer un discours ou pour jeter de la poudre aux yeux ? N’incarcère-t-on pas principalement des indésirables que l’on ne souhaite pas voir ailleurs dans la société, des indésirables qui sont la plupart du temps confrontés aux institutions répressives en raison de leur pauvreté et donc de leur incapacité à se défendre avec les outils que la justice prétend leur « garantir », comme des avocats qui ne travaillent que quand on les paye cher ou des garanties de représentation, un luxe pour la plupart des détenus. Tout est fait pour que les prisons soient remplies de pauvres, et elles le sont à n’en pas douter.

Alors si la justice ne peut être qu’une justice de la bourgeoisie contre les pauvres indociles (ou non), une justice de classe, alors quel prisonnier n’est pas un prisonnier politique ? Si la prison a de réelles fonctions politiques et sociales, comme le maintien de l’ordre et la paix sociale, alors quel prisonnier n’est pas un prisonnier politique ? Pour le dire plus simplement, la prison étant un outil politique, alors tous les prisonniers sont des prisonniers politiques. Et dans ce cas là, autant jeter ce terme dans les oubliettes de la politique, justement. Car elle n’est pas chose que nous revendiquons, mais chose que nous voulons détruire jusqu’à sa dernière manifestation.

De plus, on peut questionner également ce terme sur ses aspects « innocentistes ». En effet, il est souvent utilisé pour qualifier le caractère « injuste » d’une incarcération, comme souvent avec Mumia Abu-Jamal, Georges Ibrahim Abdallah ou les Pussy Riot, pour utiliser des exemples parmi les plus célèbres ou médiatiques aujourd’hui. Cela se manifeste souvent par cette insistance à vouloir démontrer que l’on est « innocent » puisqu’enfermé uniquement pour ses idées : réclamer un statut de prisonnier politique revient à réclamer la liberté d’expression (ou son respect dans les pays où elle est déjà officiellement et théoriquement reconnue). Avec l’effet pervers de justifier par ailleurs l’incarcération pour de « vrais » délits ne relevant pas de cette liberté d’expression. Dans le cas où les prisonniers ont de toute évidence commis les actes dont ils sont accusés et les reconnaissent, les définir comme « prisonniers politiques » revient à vouloir prouver que ces actes n’étaient qu’une réponse à des lois « injustes » ou « illégitimes », comme si certaines autres étaient « justes » et « légitimes » (celles pour lesquelles sont enfermés les autres prisonniers). Finalement, dans les deux cas il s’agit d’affirmer leur innocence en les rendant irresponsables, d’une manière ou d’une autre, ou en essayant de rendre leurs actes légitimes aux yeux de l’ennemi. Une démarche qui ne conviendrait pas, par exemple, pour des braqueurs, et qui de toute façon n’a rien d’anti-carcérale ou de révolutionnaire. Qu’il s’agisse de réclamer la « liberté d’expression » ou de protester contre l’« injustice » d’une loi, ces deux manœuvres ne sont que des demandes à l’Etat visant à le réformer, améliorant ainsi sa domination sur nos vies.

En tant qu’anarchistes, nous ne souhaitons pas entrer dans un débat politique (avec ou sans le pouvoir) pour définir ce qui est moralement juste et vertueux et ce qui ne l’est pas. Profanes, nous laissons cela à leur justice et à leurs églises de toutes sortes. La seule chose qui nous intéresse concernant la prison, c’est sa destruction totale et définitive, sans négociation et sans transition. Et ce n’est que par la lutte et la révolte à l’intérieur comme à l’extérieur que nous y arriverons.

Nous ne disons pas ici que tous les prisonniers méritent notre solidarité inconditionnelle. Car nous ne voyons pas la solidarité comme une dette ou un devoir, mais comme une arme de réciprocité dans la guerre contre l’existant. C’est pourquoi notre solidarité va à tous les prisonniers révoltés qui, sans médiations, luttent contre la condition qui leur est faite, sans distinction particulière. Car si nous ne partageons pas la pensée ou les actes de tous les prisonniers, parfois même nous pouvons les mépriser entièrement, il nous faut être clairs sur une chose : nous nous opposons à l’enfermement sous toutes ses formes, et nous ne le souhaitons pas même à nos pires ennemis. Ainsi, la relation que nous entretenons avec le prisonnier révolté est une relation intéressée, car il s’agit d’une rencontre entre des intérêts qui convergent, ceux de la révolte et/ou de l’insurrection. Il n’est pas question de martyrs ou de grands abnégateurs… Il n’est pas question d’altruisme, il n’est question que de compagnons, et donc de complicité, à ne pas confondre avec la charité.

Bien sûr, il est plus facile pour nous de donner notre solidarité à des compagnons qu’à des inconnus sans histoire commune, car les tenants et les aboutissants nous sont plus facilement et rapidement accessibles et identifiables, mais la solidarité ne doit pas faire preuve de fainéantise, elle doit dépasser les frontières identitaires des petits milieux pour s’élargir à tous les prisonniers de la guerre sociale et viser la liberté de tous, sinon cette solidarité n’a rien de révolutionnaire, elle est seulement un signe de reconnaissance creux entre personnes averties, qui ne vaut pas plus que n’importe quelle autre forme de solidarité communautaire et identitaire.

A partir de là, lorsque nous entendons des révolutionnaires antiautoritaires se déclarer « prisonniers politiques », ou pire encore, en réclamer le statut à l’ennemi, nous déplorons cette façon de se distinguer des autres prisonniers. Quelle volonté derrière sinon de faire valoir l’« illégitimité » de leur incarcération ou de demander à l’ennemi un traitement différencié, des privilèges ou une amnistie ?

Nous comprenons bien l’intérêt qu’il y a à l’intérieur d’être regroupés entre révolutionnaires, le quotidien y est plus fluide et les prisonniers pourraient probablement s’y entendre mieux (mais pourquoi au juste ?). Mais d’un autre côté, est-ce vraiment une bonne idée pour un agitateur révolutionnaire, de se séparer des autres détenus, comme beaucoup le font déjà dehors en s’enfermant dans des modes de vie communautaires, à l’intérieur de centres sociaux et contre-culturels dans des milieux sclérosés de consanguinité ?

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, comme on peut le voir en Grèce ou en Italie, l’Etat a plutôt tendance à regrouper les prisonniers anarchistes entre eux, séparés des autres détenus. Il s’agit bien d’empêcher leurs idées et leurs pratiques de révolte et de lutte de se répandre parmi la population générale, d’éviter l’infection. Il s’agit d’assurer la paix et l’ordre en séparant ceux qui rassemblés pourraient faire suer encore plus les administrations.

Nous refusons donc cette distinction entre « prisonniers politiques » et « prisonniers de droits communs » car elle devient forcément justification du système carcéral. Parce qu’il n’y a pas de prisonniers politiques, ou alors tous les prisonniers sont politiques, donc aucun.

Solidarité avec les prisonnier/es de la guerre sociale, Liberté pour toutes et tous.

Des anarchistes antipolitiques et antisociaux pour l’infection.

[Extrait de Des Ruines, Revue anarchiste apériodique, Numéro 1, Janvier 2015. Publié également en annexe d’un recueil sur la lutte contre les prisons de type C en Grèce.]

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