[Etats-Unis] Lettre à « Earth First! » d’un ami trop distant

[La critique d’Earth First! qui est faite dans le texte ci-dessous est assez originale. Habituellement, les critiques faites à l’égard de cette organisation sont centrées sur ses racines fascisantes. Elle sert par ailleurs de prétexte pour parler d’autres sujets beaucoup plus généraux. Earth First! peut y être remplacé par les noms d’autres orgas, et pas uniquement limitées aux Etats-Unis. Ce texte parvient à approfondir la critique au-delà du seul champ de l’écologie, tout en conservant sa pertinence].


Les problèmes ne sont pas le problème : Lettre à « Earth First! » d’un ami trop distant

Un jour, je me trouvais caché, avant l’aube, dans le kudzu et le lierre qui poussaient en bordure d’un chemin rocailleux de montagne. Le temps avait ralenti, comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, mais finalement le moment vint où une douzaine d’autres, équipés de cadenas, d’une voiture en piteux état et d’un trépied sortirent de l’obscurité pour bloquer l’entrée de la mine. Regarder en arrière vers le haut de la pente escarpée pour voir la barricade rougie par les flammes, rendant impossible au moins pour quelques heures, le processus de destruction de cet endroit magnifique, reste l’un de mes plus beaux souvenirs.

Huit années ont passé depuis cette petite expérience. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Je continue de m’impliquer dans la lutte, bien que ça soit plus dans un désir de survie, de conflit, de vengeance et d’affinité que dans un quelconque espoir de changement social. Néanmoins, le retour du Earth First! Rondy dans l’État où j’habite me semblait être une bonne occasion de soulever de nouveau certaines questions critiques, questions qui ont déjà été soulevées auparavant par des personnes plus douées à l’écrit que je ne le suis, mais qui semblaient être mises de côté sous la contrainte constante de s’occuper de la nouvelle menace qui allait détruire le monde. Même s’il s’agit d’une critique, j’espère qu’elle pourra être vue comme un signe d’affinité et de communication adressé aux personnes qui, comme moi, souhaitent vivre libres et sauvages.

Une image du passé

Durant les années que j’ai passé à Earth First! la majeure partie du monde politique « radical » était étouffée par le mouvement anti-guerre, qui était dominé par la gauche et divers groupuscules socialistes. Ces personnes étaient perdues lors des émeutes anti-capitalistes de l’ère anti-mondialiste, mais se sentaient à l’aise dans les eaux tièdes de l’anti-impérialisme. Les anarchistes, pour la plupart, étaient embarrassés et en désaccord avec cette période, surtout ceux qui, comme moi, s’étaient construit politiquement dans les conflits de rue au tournant de ce siècle. Notre pensée et nos pratiques furent néanmoins influencées par cette période « anti-guerre ». Nous nous trouvions alors d’une certaine manière enfermés dans la construction d’un entre-soi et une lutte parcellaire qui ne pourrait jamais totalement refléter nos idées ou nos désirs. Earth First! se trouva être, d’une certaine manière, la meilleure version possible de ce modèle, ce qui eut pour conséquence que beaucoup d’entre nous s’impliquèrent dans la défense de l’environnement durant cette période.

Le vent tourna toutefois : des émeutes éclatèrent dans les quartiers pauvres en Europe, la Grèce s’enflamma à la suite du meurtre d’Alexandros Grigoropoulos, les black blocs reprirent du poil de la bête durant les sommets de 2008, les occupations d’universités en 2009 se firent sans aucune demande de pouvoir, une opposition étendue et généralisée à la police éclata dans le Nord-Ouest un an plus tard, Oakland pris sa revanche pour Oscar Grant et quelques années plus tard, il y eut le mouvement « Grève générale ». Beaucoup d’entre nous se sentirent de nouveau dans un environnement familier. D’autres restèrent dans l’entre-soi activiste qu’ils s’étaient construits, limité mais confortable. Cherchant des expériences différentes, nous avons commencé à parler des langages différents qui reflétaient des analyses incompatibles mais aussi, et de manière sûrement plus décisive, des aspirations différentes. Ce n’était pas fondamentalement un conflit par rapport à des activités spécifiques ou des visions post-révolutionnaires (i.e. organisation vs. attaque, ou vert vs. rouge), mais par rapport à la manière dont la matrice du capitalisme, de la politique, de l’activisme, et des « problèmes » fonctionnait, et donc par rapport à ce que ça signifiait de tenter d’intervenir. Il est devenu de plus en plus difficile de ne serait-ce que se parler, nos mots et nos actes passaient inaperçus comme des bateaux dans la nuit.

Un aperçu du futur

Si ce n’était pas déjà le cas, il était devenu clair pour beaucoup d’entre nous que les luttes parcellaires et leurs campagnes activistes étaient une impasse. Cette vision était ancrée dans les désirs de participants, il faut l’admettre, ni patients ni disciplinés, comme il le faudrait, mais aussi dans une analyse sans compromis du capitalisme industriel du XXIè siècle – un système qui est capable d’avoir sans arrêt une longueur d’avance sur les revendications même les plus radicales, tout à fait disposé à remplacer la fracturation hydraulique par les sables bitumeux, les sables bitumeux par le charbon, le charbon par l’éolien, l’éolien par le solaire, le solaire par l’hydroélectrique, l’hydroélectrique par le nucléaire, sautant toujours d’un problème au suivant dans un mouvement perpétuel d’auto-préservation.

Quand j’y repense, je réalise que ce qui avait à mes yeux du sens dans ces campagnes d’Earth First ce n’était pas la possibilité, toujours hors de portée, de réforme ou de changement, mais ces rares moments de rupture, quand le troupeau bien rangé devenait involontairement une foule déchaînée détruisant un hall d’entreprise, ou quand la campagne dans les Appalaches se fit déborder par les locaux qui tiraient à coups de fusils sur les bulldozers. Il ne s’agissait pas d’un simple aventurisme, mais d’un réel désir de s’extraire de l’emprise de la politique.

J’ai abandonné l’idée d’accroître graduellement notre pouvoir avec de petites victoires car cette approche n’a que peu, voire aucune, accroche dans la réalité. Les insurrections ne jaillissent pas à la surface de l’Histoire grâce à de l’activisme spécifique comptant sur cet accroissement graduel du pouvoir. Pour le dire autrement, la Turquie ne s’enflamme pas, en ce moment, pour sauver un parc bordé d’arbres. Ces arbres sont une coïncidence qui a donné un prétexte à des foules qui se rebellent pour des tas de raisons différentes contre tous les aspects de la vie capitaliste. Des milliers de personnes ne participent pas à des émeutes pour simplement sauver quelques arbres, ni pour la vie d’un jeune assassiné. En ce sens, la lutte en Turquie n’est politiquement compréhensible ni par le pouvoir, ni par les mouvements sociaux qui voudraient la gérer, y compris les écologistes radicaux du pays. C’est un avantage.

Les campements d’Occupy, le Printemps arabe, les émeutes en réaction à l’austérité en Europe, les débordements sans revendication qui arrivent chaque fois que la police assassine un jeune, Les pillages éclairs, même simplement la détérioration générale de la société civile, tout cela montre plus clairement vers où se dirigent la société industrielle et notre résistance. Quelques mois après qu’un black bloc naît au cœur de la seconde révolution égyptienne, la Turquie s’enflamme, et quelques semaines après des villes brésiliennes sont embrasées par leurs habitants les plus pauvres, justifié par les médias comme une réponse à la corruption. Les périodes de latence entre ces périodes décroîssent pendant que les ruptures, elles, deviennent de plus en plus violentes et généralisées. Nous entrons dans une période où l’état d’exception se fait de plus en plus permanent et décentralisé. C’est notre futur. Dans ce contexte, les campagnes stratégiques qui s’intensifient progressivement contre des problèmes écologiques spécifiques n’ont aucun sens.

Après avoir été témoins et participants à ces événements, beaucoup d’entre nous ont tenté de trouver un chemin différent, gardant intact notre amour et notre affection pour la nature tout en cherchant de nouvelles manières de nous développer en une force sociale qui pourrait contribuer à une rupture total avec la société dans laquelle nous vivons. Comme toute expérience, cela a provoqué des échecs et des erreurs. Mais nous sommes aussi sans aucun doute intervenus avec succès dans beaucoup des rébellions mentionnées plus haut. Beaucoup de ce qui était autrefois spécifique à la trajectoire traitée ici est devenu une caractéristique générale de la rébellion à travers le monde : un refus de revendiquer, la création d’espaces collectifs autonomes, une haine de la police, une critique des médias, une critique de la gauche, une critique de la démocratie directe, une compréhension affûtée de la récupération, un accent mis sur l’attaque. Évidemment, cette généralisation n’est pas quelque chose dont un quelconque « nous » peut s’accorder le mérite. Ces positions sont aussi descriptives que normatives, elles sont moins le produit d’un certain milieu prônant certaines stratégies que le reflet des conditions sociales et de la vie moderne. Mais c’est notre monde, celui qui nous construit. Notre révolte s’y répand et doit évoluer avec lui.

Beaucoup de ces positions ont germé maladroitement durant la moitié des années 2000, mais sont maintenant répercutées (bien que de manière très hétéroclite) par tout le monde, des « Raging Grannies » aux éditorialistes du New York Times en passant par les jeunes sans abris. Que cette hypothèse se soit vérifiée à travers le monde dans tant de milieux, et reste pourtant à l’écart de la culture activiste d’Earth First est pour moi un mystère. Quand tant de choses ont changé, non seulement dans les salles de réunion de nos ennemis mais aussi dans les manières de se révolter présentes parmi nos amis, comment un réseau de personnes créatives et brillantes peut-il continuer à agir dans un activisme et des luttes parcellaires devenus obsolètes ? Quand on peut même entendre un ancien électeur d’Obama de la classe moyenne articuler une critique de la forme revendicative dans un campement public illégal, comment et pourquoi une telle critique peut-elle échapper aux militants d’Earth First! ? Ces militants croient-ils encore qu’ils peuvent sauver le monde, une forêt, une espèce, une énergie non renouvelable, à la fois ? Est-ce que le changement qu’ils souhaitent n’est que la synthèse de toutes les luttes parcellaires ?

Rien à faire et ne rien faire

Régis par une moralité presque religieuse, beaucoup répondront avec ce lieux commun selon lequel ne pas être activiste signifie ne rien faire, qu’en n’essayant pas d’arrêter la fracturation hydraulique ou de sauver les loups nous laissons le monde brûler. Une telle déclaration aurait pu avoir du retentissement en des périodes antérieures, plus calmes, mais les événements des dernières années ont montré qu’il s’agit là d’une fausse dichotomie. Je ne conteste pas l’implication ou même l’engagement en eux-même, mais plutôt la manière avec laquelle ils se produisent et l’intention qu’il y a derrière l’activité même. Dit autrement, j’affirme que ce qui est excitant à propos de la ZAD en fRance n’est pas le fait d’empêcher la construction d’un aéroport, qui sera sûrement construit autre part si les occupants obtiennent cette victoire, mais plutôt la réelle rupture, la révolte de masse en elle-même, représentée aussi bien par les conflits avec la police que par le réseau de relations communes établies par le biais de l’occupation illégale. L’activiste voudrait voir la ZAD comme une stratégie pour protéger un morceau de nature ; j’affirme pour ma part qu’elle devrait plutôt être vue comme une fin en soi, et peut-être un chemin vers de plus grandes possibilités insurrectionnelles dans le futur.

On pourrait considérer qu’il ne s’agit là que de sémantique, qu’il importe peu de savoir pourquoi quelqu’un pratique l’action directe, du moment qu’il la pratique. C’est faux ; ce que l’on trouve significatif à propos d’une expérience a des conséquences sur le genre d’expériences qu’on va choisir de créer dans le futur. Cela influence la trajectoire de notre lutte. Si les pétitions et les manifestations vous semblent être une manière plus « réaliste » d’atteindre un but politique donné, et que cette lutte parcellaire est votre priorité, alors vous êtes moins à même de faire des choix stratégiques qui vous amèneront à combattre la police parmi les arbres aux côtés de milliers de compagnons et compagnonnes. Si un moment de révolte se produit dans ce contexte activiste, comme c’est parfois le cas, c’est plus une coïncidence qu’autre chose, et les participants et participantes seront mal préparés à l’extension et à l’approfondissement de cette révolte.

Au sens propre comme au sens figuré, l’activiste est souvent en retrait par rapport à la foule déferlante dans ce genre de situations, traînant des pieds et essayant de retenir une lutte qui menace de briser les barrières de leur récit de la lutte soigneusement choisi. Beaucoup de militants et militantes d’Earth First! rejetteront une telle caractérisation, mais je parle là d’un cadre général de la manière de faire de la politique, pas de l’authenticité de ses participants individuels. Ce qui me préoccupe, c’est la manière dont ce cadre contribue (intentionnellement ou non) aux stratégies gouvernementales en isolant la révolte en des « luttes ». Une version plus militante ou D.I.Y. de ce même cadre n’y changerait rien.

Identité politique contre affinité

L’intention derrière notre activité a aussi des influences sur les choix qu’on fait dans la création de nos relations. Earth First! est traditionnellement un allier de groupes environnementaux « grand public » dans de nombreuses campagnes ; en tant « qu’extrémiste » il constitue un bouc émissaire pratique pour ces groupes, mais dans le même temps il bénéficie des connexions institutionnelles et d’une influence politique qui l’aide à atteindre ses buts, tout en maintenant son image radicale. L’analogie historique de Martin Luther King et Malcolm X est souvent faite, mais passe à côté du fait que ces deux hommes étaient des étatistes qui pouvaient être entendus par le pouvoir, et qui étaient, chacun à leur manière, plus ou moins politiciens. Lorsqu’ils ont cessé de l’être, leur relation à la fois avec le pouvoir mais aussi entre-eux a radicalement changé.

Historiquement, Earch First! a contribué à une critique de la gauche écologiste, mais continue néanmoins d’agir dans le même cadre. Les militantes et militants d’Earth First! sont des écologistes radicaux, aucun doute là-dessus, mais ils sont toujours des écologistes, ils font toujours la même politique que le Sierra Club et Greenpeace mais d’une manière plus « militante ». Est-ce une surprise que tant d’anciens militants et militantes d’Earth First! soient salariés de Rainforest Action Network, Sierra Club, Greenpeace, etc. ? Une relation amicale avec la gauche institutionnelle prend tout son sens étant donné la manière dont le groupe se concentre sur certains problèmes spécifiques. Il ne s’agit pas là de les accuser d’être des vendus – qualificatif de toute façon dépourvu de sens – mais il est important de penser à la façon dont les méthodes politiques que l’on choisit influencent les relations que l’on privilégie.

Si, d’un autre côté, la priorité d’une personne est de perpétuer une culture globale (et développer de nouvelles pratiques) de révolte, il est plus sensé qu’elle s’oppose à la gauche mais qu’elle se rapproche de ses voisins, ou de ses collègues, ou de ses amis apolitiques, ou de quiconque susceptible de plonger dans la mêlée avec elle quand les choses tournent mal. L’affinité plutôt que l’identité politique devient le centre de gravité de la relation. ce que quelqu’un peut penser à propos de l’environnement n’a pas de sens pour moi. Est-ce que cette personne déteste la police ? Est-ce qu’elle déteste le travail ? Est-ce qu’elle déteste avoir du mercure stocké dans les intestins ? Est-ce qu’elle déteste certains aspects du capitalisme ? Est-ce qu’elle veut jambiser un patron du nucléaire ? Est-ce qu’on a recours aux mêmes genres de magouilles pour s’en sortir ? Est-ce qu’on pourrait être amis, et est-ce qu’on a des savoirs et des idées utiles à s’échanger ? Ces questions sont plus importantes.

Les problèmes ne sont pas le problème

Je réalise que rien de tout ça n’est particulièrement nouveau. Il y maintenant environ 15 ans, les participantes et participants aux luttes contre la construction de routes au Royaume-Uni ont soulevé beaucoup de ces questions, et en 2007 un éditeur du journal d’Earth First! a proclamé « Earth First! signifie « guerre sociale » » haut et fort, tentant d’infléchir la direction d’un mouvement en déclin, écrivant que « L’identité politique et ses effets limités ont atteint leur date d’expiration. Cette petite autonomie que nous avons bâti en faisant d’Earth First! une approche activiste nous est volée. Qu’on l’appelle « justice climatique » ou qu’on relie ce « nous » à une philosophie bio-centriste, nous échouons toujours à tracer des lignes qui sont fondées sur la réalité ».

Cette date d’expiration est maintenant largement dépassée. Les priorités et les restructurations du Capital durant le XXIème siècle, en même temps que nos propres expériences de révoltes de ces dernières années confirment cela sans conteste. L’ennemi auquel nous faisons face est adaptable, flexible, horizontal, un meilleur démocrate et un meilleur écologiste que n’importe quel militant, n’importe quelle militante, peut espérer l’être. De même, les expériences de compagnons d’Athènes au Caire ont prouvé qu’il était plus facile de renverser des gouvernements que de les réformer. Ceci ne peut être que plus vrai quand une lutte touche le cœur de la société industrielle. La méthodologie des campagnes activistes dont Earth First! a hérité des mouvements de défense des forêts et des droits des animaux est désespérément déconnectée de cette réalité. Prenons Earth First! à son état actuel. Est-ce que l’organisation ferait d’Occupy une campagne contre la politique de l’impôt sur les sociétés ? Verrait-elle l’insurrection à Istanbul comme une campagne pour sauver quelques arbres ? Réduirait-elle les émeutes de 2008 en Grèce à une manière d’obtenir « Vérité et justice » pour Alexandros Grigoropoulos ? Je continue à me le demander…

Finalement, Earth First!, une non-organisation constituée de non-membres, n’est pas le sujet. Des gens vont continuer à intervenir dans les crises et les luttes écologiques, à mesure que celles-ci vont se multiplier, et le nom sous lequel ils le feront n’a aucune importance. Mais il est temps de s’engager dans une nouvelle voie, avec la ferme intention de se libérer des barrières constituées par l’activisme et les luttes. Le succès politique est quelque chose de quantitatif qui peut être connu au travers des changements politiques, des sondages et des statistiques. Il offre un certain confort dans sa lisibilité et son pragmatisme, et permet à ses participants de se sentir raisonnables. Cela reste la logique séduisante de l’activisme, qu’il soit militant ou pas. Mais ça ne peut pas être la nôtre.

La question n’est pas d’arrêter l’Oléoduc Keystone, par exemple, mais d’étendre cette lutte pour qu’elle ne soit plus reconnaissable en tant que telle, pour qu’elle ne soit plus un mouvement « anti-oléoduc » mais une multitude de sortes de gens qui se révoltent contre des aspects du monde capitaliste qui s’entrecroisent. Parce qu’un oléoduc sera de toute façon finalement construit, même si son parcours change cent fois, parce qu’il y aura de la fracturation hydraulique, même si elle est déménagée dans une autre bio-région où la résistance sera plus faible, le centre de gravité de notre intervention doit être de fomenter une révolte générale, pas de « gagner des luttes ». Une critique partielle du capitalisme vert n’accomplit pas cette tâche, si nos méthodes restent empêtrées dans les luttes parcellaires. Construire des digues pour contenir le capitalisme n’est plus une option viable, si tant est qu’elle ne l’a jamais été.

Cette proposition semble probablement absurde à au moins quelques lecteurs et lectrices, mais ce n’est pas aussi impossible qu’on pourrait le penser. Chaque réaction du quartier à un meurtre policier, chaque campement illégal, chaque émeute de la faim, chaque incendie de prison, chaque reprise de territoire de ces dernières années nous a appris que tout moment de désobéissance a le potentiel de se transformer en une situation ingouvernable générale. Nous pouvons contribuer de manière significative à ce potentiel d’une myriade de manières, d’aider un enfant à utiliser son T-shirt comme une cagoule ou pointer les aspirants politiciens et aspirantes politiciennes, à construire intelligemment des barricades ou faciliter les assemblées de quartier. Les compétences que nous avons acquises en tant que militantes et militants d’Earth First! sont toujours utiles, mais l’orientation a changé.

Je suggère donc qu’il est temps qu’on prenne une profonde inspiration et qu’on se réoriente. Le monstre de la civilisation ne va pas se renverser à coup de campagnes activistes graduelles, de petits groupes d’éco-warriors nocturnes ou de quelque combinaison des deux. De même que le capitalisme ne s’effondrera pas sous son propre poids, du moins pas avec une autre issue qu’un fascisme cauchemardesque. Prendre ces réalités en compte ne signifie pas abandonner la lutte, mais changer les raisons et les modalités de notre intervention. je me remémore toujours affectueusement l’époque où je me considérais comme militant d’Earth First!, mais alors que je lis les comptes rendus du monde entier, et que je pense à mes propres expériences aux Etats-Unis, je dois admettre que j’ai le sentiment que c’était il y a très, très longtemps.

Dans l’amour et dans la lutte,
Pour un bon barbecue,
Et l’insurrection.

s.t. – 2013

[Traduit de l’anglais de The Anarchist Library]

Pour enrichir la discussion, voir le texte « No System but the Ecosystem: Earth First! and Anarchism«