[Brésil] A propos des émeutes à Porto Alegre contre un énième plan d’austérité du nouveau gouvernement

[Un texte publié sur le blog anarchiste Cumplicidade le 30 décembre, qui revient sur la révolte récente à Porto Alegre suscitée par l’annonce gouvernementale d’un énième plan d’austérité. Sur la situation insurrectionnelle au Brésil, on pourra relire ce récit concernant l’agitation anarchiste lors de la destitution de Dilma Roussef fin août dernier]

Ils veulent que, chaque jour à l’aube, nous nous levions pour travailler, si possible jusqu’au dernier jour de notre vie…. Pour quoi ? Ça, nous l’avons déjà compris et nous ne l’accepterons pas.

La loi, c’est la destruction de la terre et de tout être humain pour en faire de l’argent. Les lois, qui ensemble forment la constitution – la Bible de l’État, de la démocratie – sont une flopée de traités et d’obligations de la part des politiques, des propriétaires, des riches, des capitalistes et des faux-critiques. Tout ce qui vient de la loi et de l’État est nuisible pour la liberté.

Le parlement est un repaire et de celui-ci viendra toujours une volonté de maintenir le joug sur la collectivité humaine qui vit dans la zone contrôlée par le gouvernement brésilien. Dans un climat d’alerte incendie permanent, qui maintient le gouvernement en guerre contre la population, le nouveau projet de révision constitutionnelle PEC 241/55 est une allumette. C’est l’expression la plus brutale du pouvoir : nous commandons, tu obéis et  au boulot ! Et au-delà de ça, le nouveau gouvernement reste un ennemi comme tous ses prédécesseurs, poussé dans une attaque avide contre la population et le pays, contre tout.

Lorsque nous sommes arrivés, la guerre était déjà déclarée et nous avons tout bonnement refusé d’obéir et d’adopter un comportement pacifique.

Nous ne sommes pas contrôlés par la propagande télévisée, par les églises, les partis ou les entreprises…
Nous ne sommes pas intéressés par la bonne image de cette société malade et suicidaire. Quelle bonne image ? Les fleuves contaminés par des boues toxiques et des déchets de la ville et de l’industrie, ses littorales et sources transformés en béton, les mines exploitées puis transformées en décharges à ciel ouvert, les terres des peuples primitifs systématiquement pillées, anéanties, l’agro-industrie, l’empoisonnement de masse par l’utilisation de pesticides, les centrales hydro-électriques, les cimetières industriels, la vie transformée en fosses communes pour le « développement durable ».

Il n’y a aucune raison de maintenir cette sorte d’existence, et nous ne l’admettrons pas. Ils disent que nous avons exagéré au cours des manifs violentes dans les rues, mais nous demandons : Nous ? Armés de désir, de pierres, de feux d’artifice, de cocktails molotov et de tout ce dont nous disposons dans les rues et nous le permettent ? Ou les lois, qui garantissent toutes ces catastrophes, leurs bandes d’assassins armés, leurs pelleteuses, leurs véhicules blindés, leurs médias et leurs juges ?

Nous apprécions le moment de rupture avec l’ordre établi qui a pu s’expérimenter lors de certaines manifestations, comme ce qui s’est produit au cours des manifestations contre le PEC 241/55 le 25 novembre et le 13 décembre dans la ville de Porto Alegre. Ce sont des moments au cours desquels l’autorité est remise en question et nous pouvons un peu nous venger ouvertement, détruire les fondements même de ce système qui continue à fonctionner, de créer le désordre et d’attaquer la police. Par cette praxis, nous encourageons une culture informelle de la lutte dans les rues contre le système de domination et ses forces de répression. C’est un moment qui diffère du quotidien, contre lequel les munitions de la police sont, d’un point de vue théorique, inoffensives.

Les innombrables aspirations de groupes épars de vandales se réunissant dans les rues, de personnes complices lors de la destruction de ce monde en plastique pendant les manifestations depuis 2013, parviennent à rompre avec la monotonie des manifs soumises et citoyennes, qui se déroulent avec docilité au sein de l’ordre établi et coopèrent, par leur discours, au renforcement de la démocratie. Les vandales sont parvenus à se défaire de la passivité des manifestations dans le centre de Porto Alegre et ont gardé cet esprit.

A l’heure actuelle, en rupture avec la passivité, la normalité et les flux commerciaux volent en éclats, ce qui brise la continuité de ce désastre. C’est symbolique mais c’est aussi une force que nous possédons. Dans les dépêches des médias, ils pleurent à cause des dégâts et des services interrompus. Maudits émeutiers !

Certes, il y a aussi des flics à l’intérieur des cortèges, menés par ‘Los Contenedores de Basura’ [1]. Beaucoup d’entre eux se qualifient eux-mêmes de pacifistes mais ils sont capables d’attaquer les vandales masqués, qui refusent d’être des moutons au sein du troupeau, et les livrent même à la police. Nous lisons attentivement les dépêches de la presse au sujet des manifestations du 13 décembre contre le PEC 241/55 dans la ville de Fortaleza, Ceará.

Là-bas, la police rouge du mouvement des travailleurs SDF (le MTST [2]) a roué de coups plusieurs personnes masquées du « Bloc autonome » parce qu’elles taguaient dans les rues, ont choisi leur propre parcours et n’ont pas suivi les consignes de porte-parole. Quiconque cherche à avoir le pouvoir et ne parvient pas à concevoir la nécessité de le détruire trouvera toujours un prétexte pour le défendre. Cela vaut la peine de se rappeler des scènes symboliques de protestations en Grèce contre le pacte d’austérité (également un PEC), lorsque les manifestants rouge ont formé une ligne devant le parlement grec pour le protéger des émeutiers masqués. Ces derniers ont été repoussés par la force.

Derrière la police rouge, un deuxième groupe protégeant le pouvoir par la force est arrivé, et cette fois, c’était les troupes officielles d’intervention du gouvernement. Il n’y aura ni oubli, ni de pardon. Lorsqu’ils touchent à l’un d’entre nous, ils nous touchent tous, que ce soit à Porto Alegre, Fortaleza ou Santiago.

En continuant la lutte, Guilherme Irish est vivant dans les rues et ne repose pas en paix. Il était présent lors des manifs du 25 novembre et du 13 décembre, masqué au sein du black bloc, en faisant des tags, en distribuant des tracts, en fracassant des banques et en incendiant des barricades. Guilherme Irish vit ! Aux côtés de Nicolás David Neira [3], Alexis Grigoropoulos, Punky Mauri et Pelao Angry. Ils vivent à travers nos danses guerrières contre toute autorité.

Nous remettons en question le rôle des photographes dans les manifestations. Nous sommes présents, motivés par nos aspirations, alors qu’eux le sont pour leur travail. Et pour qui travaillent-ils ? A qui vendent-ils leurs photos ? Pour alimenter le spectacle de condamnation des journalistes ? Mais bien sûr ! Vos images servent d’outil à l’appareil répressif ! Réfléchissez….

Au cours de ces affrontements, de nombreuses personnes sont tombées entre les griffes de la police. Elles ont été agressées, humiliées, enregistrées dans des fichiers. Nous restons solidaires de ceux qui endurent la répression, car la solidarité est la seule réponse possible !

Un clin d’œil à tous les insoumis : nous nous voyons dans les rues !

Par amour et par haine : des vandales masqués

Contre toute domination ! Pour la libération totale !

Vive l’anarchie !

[Traduit de l’allemand via Urban Resistance]

NdT :

[1] Ce sont les employés des services de propreté de la ville, et notamment en charge du ramassage des poubelles.

[2] Le « Movimento dos Trabalhadores Sem Teto », soit « le mouvement des sans-toits », créé à la fin des années 90 à São Paulo. Inspiré du mouvement des sans-terres (MST) apparu au début de la décennie 90, ce mouvement milite pour le « droit au logement » et fait pression sur les institutions en réquisitionnant des logements vides. C’est une sorte de DAL.

[3] Lycéen colombien assassiné par les flics : lors des affrontements à la manif du 1er mai 2005 à Bogotá, les agents des « escadrons mobiles anti-émeutes de la police (ESMAD) l’ont violemment frappé au crâne, lui faisant une entaille de 26 centimètres. Il est décédé quatre jours plus tard à l’hôpital.