[Italie] Délation et répression : Considérations sur les faits de Lecce

Aux frontières de la réalité

Après avoir lu le communiqué publié par les compagnons de Lecce, nous avons ressenti le besoin de nous informer davantage sur ce qu’il s’est passé. Parler de délation est une chose grave, qui doit être approfondie. Ce que nous allons décrire est une tentative d’éclaircir ce qu’il s’est passé. Il faut parler du fait que, même sans la vile intention de balancer, ça ne change rien.

Quelques jours après une rixe qui a eu lieu à Lecce le 3 août 2016, un antifa de la ville est emmené en commissariat soi-disant pour qu’on lui délivre un papier. En réalité, il est interrogé en tant que témoin, sans le droit à l’assistance de son avocat lors de interrogatoire.
L’interrogatoire dure environ 7 heures et on ne sait pas exactement ce qui est dit, ni ce qui y est affirmé précisément.

Ce qui est malheureusement sûr, c’est que, dans le procès verbal rédigé par les flics, il y a une description détaillée des déplacements du mec interrogé, des moments qui ont précédé la rixe, les prénoms, les noms et même les surnoms de certains compagnons, ainsi que des fachos qui sont impliqués (selon le dossier) dans ces faits.

Pour couronner le tout, une prise de distance de la part du mec des milieux de luttes « extrêmistes », tel que Villa Matta, qui est par ailleurs décrite comme le lieu d’où viendraient les personnes mêlées à ce qui s’est passé.

Ces déclarations sont signées par le mec en question, qui, à partir de ce qu’il a « naïvement » (?) signé, passe du statut de simple témoin à celui de mis-en-examen.

Plus tard, l’antifa est raccompagné chez lui par les flics, qui se font donner un T-shirt que celui-ci aurait porté lors de l’échauffourée.

Il semblerait que le mec ait parlé de son interrogatoire à quelques personnes qui ont été mêlées à la baston. Dans ce cas aussi, on ne peut pas savoir quelle description en a été faite, ni pourquoi ces infos n’ont pas été partagées avec tout le milieu de Lecce.

Novembre arrive et, à la manière des feuilles d’arbres en automne, tombe le premier coup répressif : quatre interdictions de territoire de Lecce, pour tois antifas et un fasciste. Comme cela était prévisible, un des trois antifas est le mec interrogé et involontairement auto-inculpé; mis à part eux, il y a au total quatorze personnes placées sous enquête pour ces faits. En même temps que les notifications d’interdiction, sont rendus les procès verbaux des interrogatoires, auxquels les fascistes ont aussi été soumis.

Comme cela arrive souvent dans de pareils cas, le bruit le plus assourdissant dans les jours qui suivent est le silence sur ce qu’il s’est passé : et par rapport à la solidarité avec les personnes frappées par l’interdiction de séjour, et de la part du mec qui a eu l’incroyable « légèreté » de signer des déclarations tellement immondes.

Après deux semaines d, ce qui est compréhensible, des compagnons de Lecce publient un communiqué qui fournit des informations basiques, via internet, au sujet de l’épisode détestable de délation qui a eu lieu dans cette ville.

Les réactions des amis et camarades de la balance, à partir de ce moment, dépasseraient les limites du ridicule, si la situation n’était pas aussi grave. Ils traitent ceux qui ont écrit le communiqué de « juge », ‘ »balance » et « flic sans uniforme ». En somme, on lave le linge sale en famille, parce que le fait de publier ces faits est une erreur « humaine » impardonnable qui salit le nom (par ailleurs jamais publié) d’une personne qui aurait été simplement « poussée à confirmer » (!!!) des déclarations qui ne lui appartiennent pas.

Au delà des polémiques absurdes des faux-culs, après avoir lu le communiqué signé par « les Antifas de Lecce », nous ressentons le besoin de faire quelques remarques, pour éviter tout malentendu  et pour que ce genre de choses ne se répète plus jamais.

1. L’argument le plus dangereux, politiquement, est justement celui du collectif « Caos Lecce », qui parle d' »une erreur […] de signer un procès verbal, par naïveté de gestion d’une pratique. A tort. Parce que de cela on parle : d’une erreur, pas de délation » et que « les noms écrits dans ce PV n’ont jamais été donnés, mais ajouté de manière frauduleuse par la DIGOS de Lecce pour un but bien précis. Celui de préparer une répression pénale contre des camarades, avec une plus grande ampleur et un impact répressif majeur ». Ils ajoutent ensuite quelque chose de complètement paradoxal : « peut-on porter des accusations de ce type (la délation) à un camarade qui, face aux flics, ne donne aucun nom, mais est poussé à confirmer, par sa signature, une accusation qui touche même à son frère? ». Pour nous, la réponse à cette dernière question est : naturellement OUI.

En connaissant les comportements misérables des flics et ne connaissant pas personnellement le mec qui a été interrogé, nous pouvons croire que les déclarations ont toutes été inventées par les flics, mais le fait de signer en son nom des déclarations menant à de la répression à l’encontre d’autres personnes, ne peut en aucun cas être considéré comme « une simple erreur ou de la naïveté dans la gestion d’une pratique », mais de la délation. Que ce soit par stupidité, par fatigue ou par peur, cela fait de celui qui signe une balance ! Il a souscrit à des mots qui lui sont attribués et qui ont, justement grâce à sa signature, une valeur juridique; cela fait de lui une poukave. Il doit en assumer la responsabilité individuelle (et nous croyons qu’il n’y a pas à discuter du comportement à adopter avec les balances) et politique, publiquement, afin d’expliquer de quelle façon il a été poussé à signer (chose compréhensible, mais pas acceptable, selon nous, seulement dans un cas de torture). Ils parlent aussi d’une situation psychophysique épuisante, après 7 heures d’interrogatoire. Une autre position déconcertante : cela dédouanerait le fait que s’il avait été arrêté et avait pu être libéré simplement en signant les déclarations, cela aurait été compréhensible en raison de son état mental et physique.

2. Que cela soit une version à lui ou pas, la signature parle : cet acte est de la délation. Grâce aussi à cette « erreur », deux personnes et un fasciste, en plus de lui-même, ont une interdiction de territoire et vont passer en procès, avec 14 autres personnes. On peut imaginer que ses déclarations vont fournir une aide précieuse à l’accusation, cela indépendamment du « fair-play » avec lequel ces déclarations ont été extorquées (comme si on pouvait vraiment s’étonner de la façon dont les agents de la DIGOS font leur travail).

3. Un épisode de délation n’est pas une affaire privée. Il doit être connu publiquement, encore plus dans des milieux politisés. Le gérer de façon privée aurait été une grave erreur, parce que ça aurait mis en danger d’autres compagnons qui, par le futur, dans les situations les plus diverses, pourraient se trouver à côté d’une personne qui donne tranquillement aux flics noms, prénoms et descriptions, si ces derniers la mettent sous pression.

4. La motivation pour balancer n’a pour nous aucune importance sur le fait qu’elle en soit une, et il n’y a pas d’excuse possible. En présupposant que, pendant l’interrogatoire, même pas un cheveu lui ait été tiré, il nous importe peu de savoir si la délation ait été motivé, non par commodité, mais par naïveté, par manque d’expérience ou par stupidité. Quoi que ce soit, quelqu’un qui fait de telles « erreurs » doit être éloigné de toute réalité politique, parce qu’il est un danger pour les autres. Un point c’est tout.

5. Renverser l’accusation, en accusant de délation les personnes qui ont subi la délation, c’est une pratique de merde, qui ne marche pas. Il ne s’agit pas d’un procès et il n’y a pas de juges : les faits parlent d’eux-mêmes et c’est à chacun de voir quelle position prendre.

Bien évidemment, ceux qui aujourd’hui, par amitié ou par esprit grégaire, défendront une balance, en minimisant ses responsabilités politiques, en considérant sa signature comme une erreur « humaine pas si grave, qui aurait pu être résolue avec des petites tapes dans le dos et une petite brimade, ne sont et ne seront jamais nos compagnons, seront toujours éloignés de nos milieux et regardés avec suspicion.

Ce qui nous importe davantage, avec ces quelques lignes, ce n’est pas la personne en soi (bien que nous pensons que tous ceux qui évoluent dans des parcours de lutte, anarchistes ou antifascistes, doivent avoir la possibilité de se prémunir de ceux qui commettent de pareilles saloperies, doivent pouvoir s’informer à travers des documents et doivent pouvoir choisir d’éloigner de leurs milieux ou non un tel personnage), mais souligner que de telles actions ayant des conséquences pareilles, ne peuvent pas passer comme des petites erreurs (on aurait pensé qu’il n’y avait pas besoin de le dire).
Que cette histoire horrible serve du moins de point de départ à une réflexion sur la confiance à attribuer aux personnes qui nous entourent lors d’une quelconque action, dans le but de cultiver toujours plus des rapports d’affinité et de complicité qui empêchent la répétition de telles mésaventures.

Toute notre solidarité aux compagnons de Villa Matta et aux deux compagnons, Cicala et Maria, frappés par la répression en novembre.

Quelques anarchistes (pas de Lecce)

[Traduit de l’italien de contrainformazione.info, Gio, 05/01/2017 – 09:33]