[États-Unis] Quelques mots de Michael Kimble sur la pacification racialiste à l’intérieur et à l’extérieur des taules

[Ce texte a été écrit par Michael Kimble, prisonnier américain noir et homosexuel condamné à perpétuité pour le meurtre d’un bigot homophobe, il y a une trentaine d’année. Il s’agit d’une lettre qui fait partie d’un recueil en anglais, publié sous forme de fanzine, intitulé To struggle means we’re alive (« Lutter veut dire que nous somme en vie »), et réunissant des textes de prisonniers sur les révoltes de Ferguson, de Baltimore et contre la police aux États-Unis. Il nous semble être la contribution du fanzine la plus intéressante d’un point de vue anarchiste, d’abord parce qu’il est une critique des tenants du racialisme américain, qu’il soit d’Etat ou militant, mais aussi parce que nous sommes là bien loin des quelques dérives judiciaristes, familiaristes et culturalistes des réponses politiques souvent portées en France (et ailleurs) face aux assassinats policiers, qu’ils soient racistes (comme souvent aux États-Unis) ou non.]

Réflexions et souvenir sur le meurtre de Mike Brown

Alors que j’étais à l’isolement et que j’écoutais les nouvelles à la radio, on a annoncé qu’un jeune homme noir du nom de Michael Brown avait été assassiné par un flic de Ferguson, dans l’État du Missouri. Une rage aveugle m’a envahi, mais comme j’étais à l’isolement, dans une cellule individuelle faite de briques et de métal, je ne pouvais pas faire grand chose pour exprimer ma rage de manière adéquate. C’est que je suis un anarchiste enfermé depuis longtemps, et que j’ai été victime de la brutalité des flics toute ma vie. Enfant, j’ai vu un flic pour la première fois lorsque ma mère a eu une confrontation physique avec eux. Toute ma vie j’ai vu des membres de ma famille, des amis et des étrangers victimes de la brutalités des flics, jusqu’au meurtre. Jamais je n’ai eu de rencontre positive avec les flics.

Quoi qu’il en soit, j’ai attendu une heure que les nouvelles repassent, pour être sûr d’avoir tous les détails. Après avoir entendu une nouvelle fois que les flics avaient tiré sur Michael Brown, j’ai appelé les gars de la cellule au-dessus de la mienne par la bouche d’aération et leur ai dit d’allumer la radio. Après quelques minutes de calme pour leur permettre de trouver les nouvelles radiophoniques concernant le meurtre de Mike, ils ont comme moi exprimé leur rage en déclarant que quelqu’un devait engager des représailles contre les flics lorsqu’ils tuent l’un d’entre nous. Nous avons tchatché toute la nuit de notre frustration vis-à-vis des organisations noires et des gangs qui n’exercent pas de vengeances et se contentent de défiler, et sur la famille qui engage des poursuites contre les services de police pour obtenir des réparations financières, alors qu’il est évident que cela ne dissuade pas les meurtres de noirs, de latinos et de blancs pauvres.

Lorsque les émeutes ont éclaté, la manière dont les médias en parlaient m’ont fait me dire que les noirs en avaient peut-être assez de cette merde. Que c’était le début de la révolution. Quelques autres ici ont exprimé le même sentiment. Qu’enfin les porcs allaient commencer à crever, et pas seulement nous. Et les gars au-dessus de moi ont partagé mes réflexions, puis nous avons ensuite commencé à discuter de ce qui serait nécessaire, au-delà de tuer des flics. Je ne vais pas m’étendre sur les idées d’actions futures que nous avons eu.

Alors que d’autres apprenaient la nouvelle, ils ont commencé à taper sur les portes, à crier « Fuck 12 ! » [nique la police] et tout un tas de choses. Puis des compagnons à l’extérieur m’ont envoyé des rapports sur les émeutes par courrier, et pendant que je les partageais avec d’autres, des gars ont attaqué les matons à coup d’excréments et de pisse, tactique habituelle de combat dans la taule. Des boules de feu de papier ou de vêtements ont été lancés depuis les deux étages supérieurs.

Après avoir reçu d’autres texte sur ce qui se passait, par exemple sur la Nation of Islam et le New Black Panther Party qui disaient aux sisters de quitter la rue et essayaient de calmer les émeutes, je me suis démoralisé, car nous continuons à permettre à ces macs de la pauvreté de donner l’éternelle direction réformiste de merde à des moments insurrectionnels potentiels.

D’ailleurs, dans la prison de Holman, nous sommes actuellement (mai 2016) en grève, et aujourd’hui-même le dirigeant d’un gang nous a dit de laisser les matons tranquilles et d’être non-violents. Mais il a viré à droite pas plus de trente minutes plus tard et organisé le tabassage d’un autre membre de gang. Pas de violence contre les porcs, mais entre nous c’est OK ! Un porc l’a envoyé dans notre bâtiment car depuis que nous sommes en grève ils ont supprimé une partie de nos rations de nourriture, et il a été dit que si cela continuait, il allait y avoir de l’action.

Vous voyez, les mêmes méthodes de récupération utilisées dans la rue sont utilisées dans les prisons. Mais je peux dire que les émeutes de Ferguson ont inspiré une grande partie des actions ici, car à chaque fois qu’une action s’organise, Ferguson et le meurtre de Mike Brown sont évoqués comme exemples de l’oppression dont souffrent les personnes noires dans ces bons vieux États-Unis d’Amérique.

Michael Kimble .
Depuis le pénitencier d’Holman, Atmore (Alabama).

[Traduit par non-fides de l’anglais de la brochure To Struggle Means We’re Alive : Prisoners Speak Out on Ferguson, Baltimore, and the Ongoing Revolt Against the Police.]

Pour lui écrire :

Michael Kimble
#138017
3700 Holman Unit
Atmore, AL 36503
USA

On trouvera un autre texte de Michael ici, et en anglais, sur son blog Anarchy Live !