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[Espagne/Opération Piñata] Réponse de quelques anarchistes d’une maison perquisitionnée

Sur les perquisitions et les arrestations du 30 mars. 
Réponse de quelques anarchistes d’une maison perquisitionnée lors de l’opération Piñata

carteloperacionpiataNous comprenons ce nouveau coup répressif de l’État comme une continuation des enquêtes qui ont commencé avec les filatures de cinq de nos ami-es et compagnon-nes, entre autres, Mónica et Francisco ㅡ ainsi que dans certains milieux libertaires et anarchistes de Barcelone ㅡ et qui se sont soldées par la prison préventive de ces deux dernières personnes, il y a déjà un an et demi. C’est ainsi que s’est close la première étape de l’enquête menée par le tribunal d’instruction numéro 6 de l’Audiencia Nacional [pôle national anti-terroriste], supervisée par le juge bien connu Eloy de Velasco. Un an plus tard, la suite, après des mois de filatures et d’écoutes, a été la réalisation de l’ « Opération Pandora« , menée par le corps de police autonome de Catalogne (Mossos d’esquadra). Elle a abouti à l’arrestation de 13 personnes à Barcelone, Sabadell, Manresa et Madrid, dont 7 compagnon-nes envoyé-es en prison préventive par le tribunal d’instruction n° 3 de l’Audiencia Nacional, et le juge Bermúdez. Ces compagnon-nes sont resté-es un mois et demi en régime FIES 3 dans la majorité des cas avec les restrictions correspondantes de l’article 10, avant d’être remis-es en en liberté sous caution fin janvier. 

Le lundi 30 mars, la police nationale, sur ordre du même juge Eloy de Velasco, a effectué 17 perquisitions, à Palence, Madrid, Grenade et Barcelone : au total 6 centres sociaux et 11 domiciles. L’“Opération Piñata”, telle qu’ils l’ont nommée, s’est soldée par l’arrestation de 37 compagnon-nes [1], 13 accusé-es de résistance et désobéissance et 11 autres d’usurpation (occupation, squat), qui ont été relâché-es entre lundi et mardi en attente du jugement.

Le mercredi 1er avril, les 15 autres compagnon-nes sont passée-es à disposition de l’Audiencia Nacional pour appartenance à une “organisation criminelle à finalités terroristes”. 10 ont été remis-es en liberté, également en attente de jugement, et 5 ont été envoyés en prison préventive.

Il ne nous intéresse pas de savoir combien d’opérations ils veulent lancer contre le mouvement anarchiste, il ne nous intéresse pas combien de noms de merde ils veulent utiliser pour les gros titres spectaculaires et accusatoires des médias.

Nous voyons trois étapes claires qui n’ont pas nécessairement été planifiées, mais dont le déroulement a permis la vague de répression suivante.

Lors du premier coup, le pouvoir recherchait les supposé-es responsables d’un fait concret, le placement d’un dispositif explosif. Le corps de police nationale a arrêté Mónica et Francisco ainsi que trois autres compagnon-nes. Vu le manque d’éléments, ils ont continué avec une enquête susceptible de relier ce délit spécifique avec un réseau plus large. Les GAC (Groupes anarchistes coordonnés) interviennent dans leur thèse comme un élément venant grossir l’affaire, peu importe la qualité des preuves.
C’est ainsi qu’on arrive au deuxième coup répressif : on cherche la « tête » de cette organisation, en arrêtant des compagnon-nes du mouvement anarchiste et proches de Mónica et Francisco.
Le troisième coup répressif attaque les liens de solidarité et de collaboration supposée aux faits [attaques explosives ; NdT] qui se sont produits dans les cathédrales de La Almudena et el Pilar, ainsi que (comble du ridicule) dans “des faits” non commis, tel qu’une soi-disant tentative d’attentat lors du couronnement du nouveau roi (selon la presse). L’“Opération Piñata” a été dirigée contre les compagnon-nes et ami-es proches des personnes arrêtées et emprisonnées lors de l’“Opération Pandora”.
Cela a été et c’est un message du pouvoir contre toutes celles et ceux qui comme nous maintiennent certaines idées et amitiés.

Esquisses sur le contexte répressif

La ligne d’attaque répressive utilisée par la justice de l’État espagnol est bien définie. D’un côté, depuis la fin de ETA comme bande armée [qui a officiellement déposé les armes ; NdT], ils ont le besoin structurel d’un ennemi interne pour garder un appareil répressif créé à cette fin et ainsi justifier leur salaire. Depuis, l’ensemble de cet appareil de poursuite, d’enquête et de condamnation, en apparence obsolète, a mis dans sa ligne de mire trois cibles : l’indépendantisme galicien, le djihadisme et l’anarchisme radical (comme ils le nomment). Tout cela se produit en même temps que des changements de lois dans un sens plus restrictif, des lois venant notamment frapper et condamner la protestation de rue et qui visent aussi désormais toutes celles et ceux qui peuvent réellement mettre en danger leur stabilité : les gens.

Dans ce sens, les événements de Paris ont représenté un pas supplémentaire pour que tous les États européens adaptent la démocratie à une nouvelle ère. L’État espagnol s’enorgueillit d’avoir la loi la plus restrictive de toute l’Union européenne en ce qui concerne le terrorisme : le chemin était déjà balisé, la structure continuait à fonctionner… Nous avons vu comment lors les derniers coups répressifs (surtout dans les affaires “Pandora” et “Piñata”), un des objectifs consistait à mettre sur le même plan des idéologies et des critiques généralement opposées [2], selon un stéréotype s’adaptant le mieux au modèle terroriste actuel.

Ainsi la presse se charge de mettre en première page l’arrestation de djihadistes (dont deux mineurs), celle d’anarchistes accusés d’appartenir à une bande terroriste, et celle d’un homme avec un arsenal à la maison ou de groupes d’extrême-droite, selon ce qui leur convient le mieux.

Au cours de cette dernière législature, le PP [Partido Popular, de droite au gouvernement ; NdT] et le PSOE [Parti socialiste ; NdT] ont identifié un problème pour l’avenir : le creusement des inégalités sociales qui pourrait bien leur amener des problèmes de stabilité. C’est pourquoi ils se sont empressés de promulguer un ensemble de lois telle que ladite « loi Mordaza » [Loi bâillon ; NdT].
Avec le taux de chômage qui s’envole et la “corruption” des politiques qui s’étale dans la presse, la perte de crédibilité de la classe politique pourrait évidemment créer des conflits sociaux.
Ce sont des temps de restructuration politique et par conséquent de restructuration répressive.
Dans ce sens, les partis politiques d’opposition jouent aussi leur jeu, en se positionnant contre cette loi, quasiment obligés à cela par le spectacle. Des gauchistes, qui réprimaient hier, se font aujourd’hui photographier au Parlement avec un bâillon sur la bouche, tentant ainsi d’attirer cette masse de gens “mécontents” qui ne croient plus dans les politiciens et leurs mensonges ; les gauches radicales, comme Podemos, Guanyem, ou la CUP… essaient aussi d’emporter le morceau des luttes sociales.
La dramaturgie démocratique continue. Chaque coup répressif est utilisé comme une distraction ou comme un élément supplémentaire pour remplir les urnes de quelque parti. En fin de compte, c’est le pain et les jeux.

Anarchistes, nous ne nous identifions à aucun parti politique, ayant ou pas une histoire à construire sur les piliers du capital, l’État, l’inégalité et la soumission sociale.
Nous ne nous identifions avec aucun mouvement social qui cherche la réforme de « telle » ou « telle » loi répressive, ou qui se manifeste violemment en quête de l’État-providence perdu. Nous n’avons pas l’idéologie du bosseur, content tant qu’il a du boulot, peu importe pour quel système il travaille.

Selon nous, la “loi Mordaza” n’est pas faite pour arrêter les anarchistes et les libertaires [3], dans la mesure où leur action dans la péninsule ibérique est extrêmement réduite ; nous comprenons cet ensemble de lois comme étant destiné à arrêter la [possible ; NdT] radicalisation des dits mouvements sociaux. Comme une assurance supplémentaire dont le pouvoir a besoin pour freiner la rage des gens dans la rue et dans leur communication. Car c’est là que l’histoire récente a montré que les chefs et les dirigeants peuvent perdre leur pouvoir démocratique et « horizontal ». Nous ne prétendons pas pour autant nous victimiser, ni utiliser cette stratégie de nous présenter comme étant « frappés par les nouvelles lois répressives » pour le simple fait de fraterniser avec les masses dans les rues. Si nous fraternisons avec les masses, c’est plus pour être complices de ces moments où la lucidité devient si simple et concrète, que la masse cesse d’être troupeau, d’être masse, pour se transformer en personnes pensantes qui répondent aux attaques quotidiennes de ce système économique et politique.

Il ne nous intéresse pas de savoir si l’enquête est menée par le corps de la police nationale ou par les Mossos, parce que peu nous importe ceux qui défoncent nos portes, nous soumettent dans nos propres maisons en pointant un flingue sur notre tête et celle de nos compagnon-nes.
Parce que la justice de la démocratie n’a qu’une seule logique, celle d’écraser toute dissidence qui remette en question leur pouvoir et leur manière de le maintenir.

Ils continuent tous à ne pas comprendre nos idées et les liens avec nos compagnon-nes, à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs murs.
Ils continuent à ne pas comprendre que nous ne légitimons pas leurs frontières …
Ils continuent à ne pas comprendre que plus ils font pression sur nous, plus nos idées sont fortes – plus nous nous renforçons. Plus ils tentent de remettre en question nos liens, plus nos ami-es et compagnon-nes seront proches et soutenu-es.

Ils essaient de nous effrayer, il dépend de toutes et tous que la peur change de camp. La répression que nous vivons aujourd’hui est la conséquence logique de nos désirs, de notre sens de la vie et de nos idées. Si leurs coups sont destinés à nous neutraliser et à nous maintenir en marge, le résultat obtenu est le contraire.

Nos compagnon-nes n’ont jamais été oublié-es, pas même une seconde, et malgré les coups répressifs et la dispersion [des prisonnier-es sur le territoire ; NdT], les ami-es n’ont jamais manqué pour aller aux parloirs, ils et elles ne sont jamais sorti-es de nos cœurs et y restent. Et même si demain ils expulsent nos maisons, il y aura toujours une place pour elles et eux comme pour chaque compagnon-ne.

Toutes celles et ceux qui se trouvent à l’intérieur des murs sont plus que jamais vivant-es dans nos cœurs !
Solidarité avec nos compagnon-nes, maintenant et toujours !
Salutation anarchiste !

[Traduit de l’espagnol d’Indymedia Barcelone par Cette Semaine]

Notes

[1] Il y a un problème avec le nombre des personnes interpellées, les informations là-dessus ne sont pas claires ; NdR

[2] Comme cette fine comparaison entre Al Qaïda et les anarchistes au moment de Pandora, ou d’ETA et des anarchistes lors de Piñata ; NdT

[3] Plusieurs textes solidaires, notamment d’organisations spécifiques anarchistes, ont en effet maladroitement posé que l’Opération Piñata était une des conséquences de la Loi Mordaza ; NdT

 

[Etats-Unis] Réflexions à propos des pratiques de solidarité avec les prisonniers rebelles

[Un nouveau texte de Mickaël Kimble, prisonnier anarchiste condamné à perpétuité pour avoir buté un raciste homophobe il y a plus de 28 ans. Une première lettre a été traduite ici]

[Etats-Unis] Des choses à faire

Récemment, plus d’un compagnon m’a demandé comment ils pourraient faire preuve de solidarité avec les rebelles qui se retrouvent derrière les murs des prisons. Cela me donne l’impression qu’ils et elles sont un peu frustré-e-s et que le travail réalisé ne leur paraît ni productif ni satisfaisant au niveau personnel. Croyez-moi, moi comme d’autres rebelles emprisonné-e-s ressentons la même frustration pour le fait que nos efforts et notre investissement n’aient pas l’effet désiré. Mais pour être honnête, je veux que les compagnon-ne-s du dehors sachent que le travail d’éducation qu’ils et elles font dans les prisons à travers les livres et les fanzines est phénoménal. Les relations que les compagnon-ne-s du dehors construisent avec nous, le soutien financier, l’amour et les actes de solidarité sont très importants. Cela dit, nous avons besoin de choses plus fortes si nous cherchons à réellement provoquer des dégâts à ce système colossal de destruction humaine.

Depuis l’intérieur, les prisonnier-e-s ont historiquement utilisé 5 méthodes basiques : les grèves de la faim, les grèves du travail, les mutineries, les demandes légales et les campagnes d’envoi de lettres ou d’appels pour visibiliser les conditions inhumaines qui existent au sein de cet environnement d’hostilité de ces porcs de matons, d’isolement, de négligences médicales, des programmes d’éducation/réhabilitation inexistants, des conditions d’insalubrité, etc. Mais aucune de ces luttes ne s’est faite pour l’abolition des prisons, seulement pour leur réforme. La plupart des prisonnier-e-s pensent que les prisons et la police sont des choses nécessaires, qu’elles doivent simplement être plus humaines. Triste mais vrai.

Depuis l’extérieur, celles et ceux qui soutiennent les prisonnier-e-s, dont les anarchistes, qui affirment vouloir abolir les prisons, utilisent principalement 3 ou 4 méthodes de teinte activiste pour faire preuve de soutien et de solidarité avec les luttes dans les prisons. Ces méthodes sont les campagnes d’envoi de lettres ou d’appels, les démarches légales, les manifestations et l’éducation publique. Toutes sont des méthodes autorisées qui ne font en réalité pas grand chose pour défier la légitimité des prisons, et elles ne les abolissent certainement pas. Ce sont de simples formes de protestations bourgeoises (légales / autorisées) qui essayent d’en appeler à la conscience morale des bureaucrates pour que ceux-ci traitent les prisonnier-e-s de façon plus humaine, et cela légitime uniquement le prestige de l’État.

Il ne plait bien sûr à personne de voir les prisonnier-e-s (humain-e-s) être maltraité-e-s et abusé-e-s. Ma critique est qu’aucune de ces méthodes ne peut en soi amener à la destruction de la prison/État. Et que celles et ceux du dehors s’impliquent dans des formes de lutte légales, alors que les prisonnier-e-s rebelles s’impliquent dans des formes de lutte illégales. La dissidence à l’intérieur de la prison est illégale et, pour cette raison, les prisonnier-e-s finissent par recevoir la brutalité, les attaques et les représailles de l’État.

Pendant des années, nous avons vu des mutineries sanglantes, des grèves de la faim ou du travail brutales et mortifères, des démarches légales à long terme, mais même après ça, il y a plus de prisons, plus de prisonnier-e-s, et plus de mauvais traitements. Aucune de ces méthodes utilisées par le passé n’est parvenue à créer le moindre dommage dans l’armure de l’État. Et il serait négligent de ma part de ne pas mentionner l’argument qui dit que nous ne devrions pas utiliser la violence révolutionnaire. La logique derrière tout cela selon laquelle si nous utilisons la violence révolutionnaire, l’État tirera avantage dans les médias et nous présentera comme des voyous, des criminel-le-s et des terroristes. Merde ! L’État a toujours le dessus dans les médias corporatifs de masse. La Presse est contrôlée par l’État à travers les grandes entreprises qui sont complices de l’État.

Dès lors que les prisons sont des centres dans lesquels se concentrent le plus l’autorité, la coercition et le contrôle sur la société, elles devraient être un point de mire de l’attaque, l’abolition des prisons devrait être au premier rang de tout mouvement contre l’autorité et pour la liberté, et les voix des prisonnier-e-s devraient avoir un espace à part dans le mouvement, simplement du fait de leur position unique. Cela n’a rien à voir avec le romantisme ou l’aventurisme, comme certain-e-s aiment l’affirmer pour justifier leur inertie. Bien sûr, personne ne peut nous dire quelles sont les stratégies et les tactiques qui réussiront à répandre la révolte, mais je ne peux que penser qu’il n’y a rien de plus clair que de les attaquer là où ça fait mal. Ainsi, et une fois tout cela dit, j’aimerais proposer quelques « choses à faire » que les compagnon-ne-s devraient considérer sérieusement.

Quelques choses à faire :

– Commencer à viser les entreprises qui tirent profit en investissant dans les prisons, à travers le sabotage, les manifestations bruyantes dans leurs locaux et des irruptions dans les maisons de leurs directeurs exécutifs.

– Commencer à cibler les surveillants de prison et les membres du conseil de liberté conditionnelle pour le fait d’être des harceleurs.

– Commencer à hacker le ministère de la direction pénitentiaire, les entreprises qui profitent des prisons, les ordinateurs des agents des prisons.

– Devenir des complices du crime de subversion.

– Détruire la propriété du ministère de la direction pénitentiaire.

Saboter les engins de chantier de construction de prisons.

Utiliser son imagination pour trouver des façons de faire chier l’État.

Etudier des luttes qui se sont déroulées dans d’autres pays pour voir quelles tactiques utilisées là-bas peuvent être adoptées ici.

Publier sur internet des informations personnelles d’agents de prisons / d’employés publiques / de directeurs d’entreprises.

Lancer des représailles contre les surveillants de prison qui maltraitent les rebelles.

Provoquer autant de désordre que possible.

Traduction de l’anglais du blog anarchylive.noblogs.org par contrainfo (et revue ici-même)