[Lettre de la prisonnière anarchiste Emma Sheppard en réponse à sa condamnation pour « dommages criminels pouvant mettre en danger la vie d’autrui » sur plusieurs voitures de police.]
Je viens de me regarder à la télévision, ce qui, je l’espère, est une expérience qui ne se répètera jamais. Mais ça a remonté le moral de tout le monde dans l’aile ! Je pensais essayer d’écrire pour digérer certaines des choses qui se sont passées. Mais je ne me sens pas des plus éloquentes (de plus, je suis évidemment limitée par ma surveillance) alors j’ai pensé que je pourrais utiliser certaines des citations qui m’ont inspirée depuis que je suis en prison.
Dolly Parton a dit, « Si vous voulez un arc en ciel, vous devez vous attendre à un peu de pluie ». Je me sens vraiment chanceuse d’avoir tant de gens dans ma vie avec qui traverser la tempête et je suis heureuse d’avoir moins de pluie que je ne l’imaginais. Cela m’attriste que ce soit peut-être dû à mon portrait de « Good Girl Gone Bad ». Mais pourquoi est-ce que l’empathie et la colère ne pourraient pas coexister ? Pour moi, elles font toutes deux parties de la solidarité. Je ne suis pas spéciale. Je fais juste ce qui me semble juste. Je pense que c’est à cause de mon genre (et peut-être de ma classe) que ces distinctions sont faites.
« Lorsque vous avez longtemps eu peur de quelque chose et que ça finit par arriver, cette terrible chose est une libération. Car dans le ventre du mal il n’y a plus de peur. »
Lionel Shriver.
Ce n’est qu’après la condamnation que j’ai réalisé à quel point je la redoutais. Les médias, l’horrible débat sur les « bonnes et les mauvaises personnes », mes « regrets ». Tout cela me dégoûte. Mais maintenant je me sens d’un calme usé.
Ils disent que je suis « trop intelligente » pour ne pas aimer la police, et que mes actions ont empêché la police de s’attaquer à la violence domestique et à la maltraitance des enfants. Ne réalisent-ils pas combien de femmes sont ici avec moi parce que ces questions ont systématiquement été ignorées ? Tout cela est pourri jusqu’à la moelle !
Je n’étais pas surprise, mais en colère, de voir que la Cour se concentrait sur mes expressions de solidarité avec des gens de Jackson ou de Grèce, en ignorant mes problèmes très réels avec la police dans ce pays, que j’ai longuement énumérés : les morts en détention et dans la rue, les prisons pour migrants et le racisme institutionnel, les arrestations et les fouilles, l’utilisation des pistolets Taser, je pourrais continuer encore et encore. J’ai aussi essayé de mettre en évidence mes propres expériences de la violence de la police (contre moi et mes compagnons), la répression et les tentatives d’infiltration. Mais je vois bien pourquoi ils ont choisi d’ignorer tous ces points et de détourner leur attention ailleurs.
Je regrette de m’être faite attraper et l’impact que cela a eu sur ma famille et sur d’autres que j’aime. Je suis déterminée à ne jamais revenir ici, et je sais que maintenant, en tant que femme marquée, je serais censée rester du côté « droit » de la loi. Mais je pense déjà à beaucoup de façons de soutenir les personnes confrontées au complexe carcéral. Pas seulement parce que je me soucie des autres personnes, mais aussi parce que je suis en colère.
Je vous laisse avec une de mes citations favorites de Dylan Thomas :
« N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière. » [1]
Solidarité, amour, rage et tomorrows chip rappers [2].
Samedi 28 février 2015,
Em X.
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Énigme sur le fil du rasoir
Je suis une terroriste, et une gauchiste
Je suis un homme, et une femme ratée
Je suis prévenante, et téméraire
Je suis une anarchiste, et non une anarchiste
Je suis intelligente, et stupide
Je suis pleine de regrets, et provocatrice
Je suis seule, et bien entourée
Je suis queer, et discriminatoire
Je suis triste, et sans regrets
Qui suis-je ? Je suis (présumée) moi, Em.
Depuis la nouvelle année, j’ai été décrite comme toutes ces choses et je suis malade des jugements des autres. Du jeu de ceux qui rampent dans la salle d’audience, qui m’ étouffe. Des autres prisonnières qui m’interrogent et me menacent. De mes « camarades » qui m’ont abandonnée. Des médias qui construisent une image de moi. De la police qui est « inquiète de mon bien-être ».
Je n’ai jamais caché le mépris que j’ai pour la police. J’ai essayé de minimiser l’impact de mon arrestation sur ceux auxquels je tiens, sans me trahir.
Je suis toujours une anarchiste vénère avec un cœur rebelle. Mais je suis fatiguée. Je ne veux pas de compassion. Je vais garder ma tête haute.
[Traduit de l’anglais par non-fides de l’ABC Bristol.]
Pour lui écrire :
Emma Sheppard
A7372DJ
HMP Eastwood Park
Church Avenue
Falfield
Wotton-under-Edge
Gloucestershire
GL12 8DB
NdT
[1] Dylan Thomas, Do not go gentle into that good night, 1951. Ndt.
[2] Historiquement, en Angleterre, on emballe les frites dans du papier journal, « Chip wrappers » devient donc une appellation péjorative du journal de demain. Ndt.