Archives par étiquette : le terroriste c’est l’Etat

[Publication] Au pays des démocraties

« La question –dit Alice– est de savoir
si vous avez le pouvoir de donner
tant de significations différentes aux mots.
La question –dit Humpty Dumpty– est de savoir
qui commande, voilà tout. »

cratie_brochAlice, idéaliste un peu ingénue, est en train de se demander ces jours-ci s’il est possible que le mot « terroriste » ait un autre sens, dictionnaire historico-éthique en main. Humpty Dumpty, matérialiste un peu mal dégrossi, lui répond que vu que c’est l’Etat qui commande, et vu que le langage appartient à celui qui commande, alors « terrorisme » signifie ce que veut l’Etat. Voilà tout.

Dans les années 70, l’Etat accordait l’appellatif de « terroriste » à quiconque lui contestait le monopole de l’utilisation de la violence, c’est-à-dire employait des armes à feu ou des explosifs, surtout aux participants d’organisations combattantes spécifiques, surtout si ces organisations étaient l’expression d’un plus vaste mouvement de contestation, surtout si cette contestation visait à déclencher une révolution. Pour l’Etat, c’étaient surtout ceux qui l’attaquaient les armes à la main qui étaient des « terroristes ».

A présent que les organisations armées spécifiques ont presque entièrement disparu, que les arsenaux subversifs sont désespérément vides, que les mouvements de contestation empruntent rarement des dimensions considérables, qu’ils ne posent (presque) jamais la question révolutionnaire, Alice voudrait pouvoir en déduire que l’Etat a renoncé à l’utilisation de ce terme, le considérant incompréhensible à quelques exceptions sporadiques près. La définition de « terroriste » appliquée à celui qui prenait gendarmes et magistrats pour cible plutôt qu’adressée à celui qui massacrait travailleurs pendulaires et passants lui était déjà insupportable, mais en somme… vous savez comment sont les gens, lorsqu’ils voient du sang couler ils prennent peur et deviennent confus. On peut alors supposer qu’il n’a pas été trop difficile pour la propagande de jouer sur cette méprise, de démoniser le régicide et pas le tyran. Mais aujourd’hui, basta, après avoir assisté au cours de ces dernières décennies à une aussi triste baisse de funérailles institutionnelles, finissons-en avec l’épouvantail du « terrorisme » !

Eh bien non. En cette époque si dépourvue d’ « ennemis extérieurs » crédibles mais en même temps en manque de consensus solides, lorsqu’il n’est plus resté personne pour l’applaudir, l’Etat a décidé de prendre de l’avance, de ne pas attendre l’apparition de quelque menace subversive pour déployer la machine de guerre de la rhétorique anti-terroriste : mieux vaut prévenir que réprimer. Mais prévenir qui de faire quoi ? Comme l’affirmait un fin connaisseur de l’art de gouverner, « tandis que les individus tendent, poussés par leur égoïsme à l’atonie sociale, l’Etat représente une organisation et une limitation. L’individu tend continuellement à s’évader. Il tend à désobéir aux lois, à ne pas payer les impôts, à ne pas faire la guerre. Peu nombreux sont ceux — héros ou saints — qui sacrifient leur propre moi sur l’autel de l’Etat. Tous les autres sont en état de révolte potentielle contre l’Etat. »
C’est peut-être pour cela que l’Etat s’est permis de définir « terroriste » quiconque le critique, le contrecarre, s’oppose à lui, sans trop faire de distinction entre la signification des mots et la nature des faits ? Parce que, à part les saints à prier et les héros à décorer, tous les autres seraient de potentiels rebelles ?

« Mais cela n’a pas de sens ! ». Bien sûr que non, douce Alice, mais garde toujours en tête qui est-ce qui commande. Voilà tout.

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Comment cela a commencé
L’Etat s’équipe
Consensus et obéissance
Quelles conséquences ?
Les points sensibles

[Traduit de l’italien de Finimondo par Brèves du désordre, février 2015]

[Espagne/Opération Piñata] Nouvelle grosse rafle de perquisitions sur tout le territoire et arrestations de compagnon-nes [Mise-à-jour]

Le lundi 30 mars, à partir de 6h du matin, la Police Nationale en collaboration avec les Brigades d’Information de Madrid, Barcelone, Palencia et Grenade, ont mené une opération comprenant la perquisition de 17 lieux (6 centres sociaux – dont La Quimera et la 13-14 à Madrid, La Redonda de Grenade, et 11 domiciles particuliers) à Madrid, Barcelone, Palencia et Grenade et se soldant par l’arrestation de 14 personnes — 9 à Madrid, 3 à Barcelone et 2 autres à Palencia.

Selon un communiqué de presse des flics, elles sont accusées de supposée appartenance à une organisation criminelle à finalités terroristes, en l’occurrence les Groupes Anarchistes Coordonnées (GAC). On leur attribuerait également la « commission de faits délictuels consistant dans des sabotages et le dépôt d’engins explosifs et incendiaires« . Les faits spécifiques seraient notamment la préparation de l’attaque explosive du 7 février 2013 contre la cathédrale madrilène La Almudena et la participation à celle contre la cathédrale de Saragosse d’octobre 2013, pour laquelle les compagnons Monica et Francisco sont déjà incarcérés depuis plus d’un an (accusé en plus d’avoir préparé une autre attaque contre la Basilique Montserrat de Barcelone). Parmi les autres faits spécifiques attribués à une partie des 14 arrêtés, la police évoque également une « tentative d’attaque pour déstabiliser le couronnement du nouveau roi Felipe VI » du 19 juin 2014, et quatre attaques contre des agences bancaires. Elles se trouvent actuellement au Corps de Police espagnole à Madrid et on ignore encore à quel moment elles passeront à disposition de l’Audience Nationale [Parquet national anti-« terroriste »] pour déclaration. 14 autres personnes ont été arrêtées pour usurpation et résistance durant les perquisitions, elles ont été présentées mardi matin devant les tribunaux de plaça de Castilla de Madrid et devraient déclarer aujourd’hui.
Au cours de ces interventions, de nombreux fourgons des Unités d’Intervention de la police ont encerclé les lieux. Des archives papier et du matériel informatique ont été saisis.

Cette nouvelle opération policière, dénommée Opération Piñata, a été supervisée par le juge du Tribunal d’Instruction n°6 de l’Audience Nationale, Eloy Velasco, en charge du dossier des compagnon-nes Francisco et Monica. Selon les sources du Ministère de l’Intérieure, cette opération ne serait pas close.
Ces arrestations se produisent trois mois après l’opération Pandora qui avait conduit à l’arrestation de 11 personnes, elles aussi accusées d’appartenir aux GAC.

Le soir même, des centaines de personnes se sont rassemblées en solidarité dans différentes villes de l’État espagnol, dont Madrid, Barcelone, Palence, Saragosse, Salamanque, Gérone, Cuenca et Grenade.

Barcelone

Barcelone

Palencia

Palencia

Saragosse

Saragosse

Salamanque

Salamanque

Madrid

Madrid

[Synthèse d’après Indymedia Barcelona et la presse espagnole par Brèves du désordre]

Le juge de l’Audiencia Nacional Eloy Velasco a renvoyé en prison préventive mercredi 1er avril en début d’après-midi  5 des 15 arrêtés lors de l’opération policière nommée Piñata du lundi 30 mars (24 autres ont été arrêtés pour « résistance et désobéissance » lors des 17 perquisitions puis relâchés) qui s’est déroulée à Madrid, Barcelone, Palencia et Grenade.

Le juge a renvoyé en prison les 5 compagnons suivant…

  • Paul Jara Zevallos (de Madrid),
  • Jorge Linares Izquierdo (de Madrid),
  • Javier García Castro (de Madrid),
  • Javier Grijalbo Adan (de Palencia)
  • Enrique Balaguer Pérez (de Madrid)

et relâché les 10 autres (trois de Barcelone et sept de Madrid) en liberté conditionnelle sous contrôle judiciaire (confiscation de passeport, interdiction de sortie du territoire et pointage tous les 15 jours). Ils restent accusés d’appartenance aux GAC.

La suite sur brèves du désordre

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Espagne : Operación Piñata, nouveau coup répressif

Aujourd’hui une nouvelle assombrit le soleil matinal. La police nationale, une fois de plus, a perquisitionné divers lieux de vie et centres sociaux occupés dans les villes de Barcelone, Madrid, Grenade et Palencia, au total 17 perquisitions (dont six auraient été effectuées dans des centres sociaux et espaces libertaires), qui se sont finies par 14 arrestations, les personnes arrêtées étant accusées d’être membres d’une « organisation terroriste » et du placement de divers engins explosifs ou incendiaires, en plus de l’accusation d’avoir participé à la planification (et non l’exécution) des attaques contre la Basilique del Pilar à Zaragosa et contre la Cathédrale de la Almudena à Madrid, toutes les deux revendiquées par le dit « Commando insurrectionnel Mateo Morral », et dont sont accusé-e-s aussi les compagnon-ne-s Mónica Caballero et Francisco Solar, qui sont toujours en prison.

D’après les informations de sources proches et connues à Madrid, au moins trois centres sociaux occupés ont été perquisitionnés (La Quimera à Lavapiés, La Enredadera à Tetuán et La 13/14 à Vallecas). À La Quimera, les flics auraient fait irruption ont défonçant la porte avec un de leurs fourgons. Là, ils ont chopé 15 personnes, l’une d’elles avec un mandat d’arrêt pour cette affaire et les 14 autres pour le supposé délit de résistance (ce qui élève le nombre d’arrestations aujourd’hui à 26. Les personnes arrêtées devraient passer devant l’Audiencia Nazi-onal [1] mercredi.

Selon la presse bourgeoise (c’est-à-dire selon la police), les 14 personnes arrêtées (9 à Madrid, 3 à Barcelone et 2 à Palencia) pour appartenance à cette prétendue organisation criminelle seraient supposées membres des GAC, Groupes Anarchistes Coordonnés, un collectif éditorial ouvert et public qui, après avoir édité le livre « Contre la Démocratie » (dont une description et un lien de téléchargement sont disponibles ici [en espagnol]), a été transformée par l’Audiencia Nacional en organisation terroriste, sans preuves et sans aucune base. Non content de cela, le média bourgeois étatique TVE [télévision espagnole, NdT] définit les GAC comme (attention à ce qui va suivre) « filière espagnole des italiens de la FAI/FRI ». C’est curieux, parce que quiconque examine un petit peu les communiqués et le fonctionnement de la Fédération Anarchiste Informelle arrivera sans difficulté à la conclusion qu’il s’agit d’un nom qui peut être revendiqué par des cellules et groupes informels qui se reconnaissent dans des bases communes, de la même manière qu’avec le Front de Libération Animale. La FAI/FRI (Fédération Anarchiste Informelle / Front Révolutionnaire International) non seulement n’est pas une organisation fixe et structurée comme aiment le faire croire les journalistes [2], mais n’est pas non plus italienne. Que la proposition de la Fédération Anarchiste Informelle soit sortie en 2003 en Italie et que quelques années plus tard en Grèce soit annoncé le projet FAI/FRI, dans le but de revivifier cette idée, cela ne signifie pas que cette « organisation » soit italienne ou grecque étant donné qu’aujourd’hui ont déjà été revendiquées sous le sigle FAI/FRI des attaques dans des pays des cinq continents (Indonésie, Chili, Mexique, USA, Argentine, Bolivie, Grèce, Italie, Royaume Uni, Russie…).

On a aussi pu lire d’autres sottises dans les « nouvelles » d’autres moyens de communication comme le journal El Mundo qui affirme, dans son reportage sur cette affaire publié en version digitale, que certaines des personnes arrêtées sont (je copie-colle textuellement) « membres du groupe radical anarchiste Bloque Nero (Black Block) de Madrid ». J’aimerais bien savoir quand est-ce que le Black Block a cessé d’être une tactique militante pour les manifestations massives (utilisée par différents courants et mouvements, dont des anarchistes et autonomes mais aussi des néonazis) pour se transformer en un groupe anarchiste avec des membres et tout ça. Sérieux, expliquez moi.

Dans le même article de El Mundo, il est dit que le secrétaire d’État Francisco Martínez a annoncé que cette opération serait « une opération de plus de la lutte contre tous les types de terrorisme ». On voit qu’il a toutefois oublié de combattre le terrorisme de l’État, celui qui expulse de leurs maisons des milliers de familles, celui qui élabore des montages ridicules pour incarcérer et séparer de nous nos ami-e-s et compagnon-ne-s, celui que torture et tue dans les commissariats et les prisons, celui qui noie les migrants dans le Détroit [de Gibraltar] et légalise les expulsions expéditives, celui qui bombarde des pays étrangers en tuant des villages entiers pour du pétrole et des bénéfices, celui qui protège les infrastructures qui dévastent la Terre et achève le peu de nature qui nous reste, dans un monde aseptisé et artificiel de câblages et d’autopsies où nos rêves se précipitent à Haute Vitesse dans le vide.

Dans tous les cas, nous n’attendons rien de vous. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur un quelconque changement qui ne sorte pas de notre auto-organisation et élévation. L’État, le Capital, l’Autorité sous toutes ses formes et expressions, internes et externes à nous-mêmes, sont nos ennemis dans une guerre qui n’a fait que commencer.

Nous ne tomberons pas dans un victimisme pathétique, ni dans la valorisation de l’innocence ou de la culpabilité de nos compagnon-ne-s. Qu’ils/elles soient « innocent-e-s » ou « coupables », nous les voulons libres. Nous les voulons à nos côtés. Nous voulons qu’elles/ils luttent et ne baissent pas la tête, qu’ils voient le sens de la solidarité et de la cohérence entre la pensée et les actes et qu’ils choisissent le chemin difficile parce que c’est celui qui est juste et qu’ils ne supportent pas ce monde encagé. Nous les voulons libres parce qu’ils/elles sont des nôtres, connu-e-s ou inconnu-e-s. Nous les voulons libres parce que ce sont eux/elles mais que ça aurait pu être nous, quiconque parmi ceux qui observent une société construite sur l’injustice et la misère et ne peuvent pas ni ne veulent détourner les yeux.

Des temps difficiles approchent, la Loi Mordaza [3] et la réforme du Code Pénal, récemment approuvées de manière définitive, nous assurent un futur plein de pénurie et de répression. Ils nous veulent silencieux/ses, à genoux, soumis-es, terrorisé-e-s, parce qu’à un moment où leur éternité chancelle et qu’ils n’ont plus ETA pour justifier leurs abus répressifs, ils ont besoin de nouvelles menaces fantômes. Les anarchistes, le fondamentalisme islamiste, peu leur importe, parce que l’objectif est de créer de nouveaux ennemis internes à la sacro-sainte Démocratie pour effrayer la population et justifier ainsi l’augmentation exponentielle de la présence policière dans les rues, des contrôles et des intrusions dans nos vies, leurs atrocités et leurs restrictions, parce qu’un fiasco comme celui-là ne peut se maintenir que par la peur et les mensonges. Goya a dit que « le rêve de la raison engendre des monstres ».

Cependant, au-delà des difficultés posées, nous nous rencontrons, nous nous connaissons, nous partageons des moments de désobéissance et de négation de l’ordre existant, et nous continuons à avancer, en nous rendant forts, en perdant la peur petit à petit et en cessant de contenir nos larmes pour transformer la tristesse et l’impuissance en rage. Parce que la lutte et la révolte sont le seul chemin…

À bas les murs des prisons !
Tout continue !
Solidarité partout avec tou-te-s les prisonnier-e-s en lutte !

[Traduit de l’espagnol par non-fides de Vozcomoarma.]

NdT

[1] Audiencia Nacional : Tribunal espagnol spécialisé pour les affaires importantes et crimes graves, par exemple relevant de la loi antiterroriste. Il siège à Madrid.

[2] Ici le texte original contient un jeu de mots ironique intraduisible : le mot espagnol periodista signifiant journaliste a été déformé en « perio-listos », listo signifiant « intelligent ».

[3] Littéralement « Loi Bâillon », surnom de la loi appelée par l’État espagnol « loi sur la sécurité citoyenne » établissant une série d’amendes à distribuer à tour de bras pour réprimer toute conflictualité.