A propos de frontières, de forteresses et de liberté
Le concept de frontière signifie généralement une séparation géographique délimitant un territoire étatique ou municipal par rapport à un autre. Parfois, ces zones sont délimitées à travers des « obstacles » naturels comme des rivières ou des montagnes, et dans d’autres occasions elles sont tracées à la règle de manière coloniale. Mais dans tous les cas, les frontières déterminent un territoire dominé et administré autoritairement et devant être protégé et défendu contre l’extérieur. Ainsi, la sécurisation des frontières avec des systèmes (murs, grilles, etc.) et du personnel (police, armée, etc.) de protection ne date pas des « derniers » mouvements migratoires déclenchés par la catastrophe planétaire. De la même manière, les guerres menées pour des conflits frontaliers et des visées de pouvoir territoriales font partie des horreurs trop connues de toute domination.
A l’intérieur même de toute frontière, d’autres méthodes de contrôle et de domination des humains rentrent en jeu, en apparence moins directement agressives, mais cela ne change rien au but permanent de maintien et de développement des rapports de pouvoir existants dans le cadre de la construction nationale.
Pour revenir sur les définitions du concept : une frontière est en général quelque chose de restrictif, de limitant, d’enfermant. C’est une définition de l’espace qui baigne dans le sang, mais c’est aussi chaque petit obstacle dans notre vie qui justement nous empêche d’expérimenter la vie et son potentiel. La possibilité de bouger librement dans toutes les directions, de se développer librement, de penser librement, de décider librement et d’agir selon ces décisions est encadrée par différentes sortes de frontières.
La grille comme le mur sont évidents : tu ne peux pas aller plus loin ! L’école, le chef, la loi, la taule, la propriété, l’argent, la religion, l’État le sont malheureusement moins. Ils ont tous en commun (et il y aurait certainement beaucoup d’autres institutions, normes et mécanismes qui n’apparaissent pas aussi ouvertement à ajouter) de nous insérer de force dans un monde prédéfini, pressé, dans un cadre toujours plus étroit et rigide auquel il est impossible d’échapper dans son ensemble et au service duquel on devrait mettre sa vie. Toutes ces frontières servent au maintien et au progrès d’un monde reposant sur l’oppression, l’exploitation, la dévastation et les guerres, poussant ainsi des millions de personnes à la fuite, à la recherche de quelque chose d’autre, de mieux, de plus libre.
Dans ce monde pourri jusqu’à la moelle, beaucoup se demandent ce qu’il est possible de faire contre les conséquences désastreuses de l’Europe forteresse. D’un côté, on peut répondre de manière évidente : organiser le soutien, proposer de la nourriture, des vêtements, un logis, occuper des maisons ensemble, faire passer des frontières, mettre en évidence les différentes institutions, profiteurs et autres responsables de la misère qui représentent les engrenages de la machine à administrer, à enfermer et à expulser et peuvent être perturbés et sabotés en tant que tels. Mais ce qui sous-tend toujours cette question, c’est le regard vers l’extérieur, le regard loin de sa propre situation, de ses désirs et de ses aspirations. Il est en fait beaucoup plus simple de répondre à la vieille question « quoi faire ? » en partant de cela. Ta vie est limitée par des milliers de lois, de normes et de contraintes de toutes sortes ? Alors brise ces frontières ! La forteresse envers l’extérieur fonctionne justement parce qu’elle est acceptée et portée à l’intérieur. Le mouvement sans limite n’est possible que lorsque le pouvoir sur les êtres, leurs décisions et leurs corps est balayé.
Revendiquer l’ouverture des frontières sans nier le Pouvoir en soi, ne peut mener qu’à une impasse. La frontière est un élément constitutif de tout Etat, qui veut maintenir « son territoire » sous contrôle. Plus important encore, la vie et les propositions infinies de liberté ne sont pas compromises uniquement par cette « frontière ». La forteresse doit donc être comprise comme un tout, pour parvenir à une perspective de liberté, et pas seulement en des temps où prédominent la folie sécuritaire et la répression de larges aspects du quotidien. De là la proposition de combattre et de détruire la forteresse dans tous les sens et à tous les niveaux, jusqu’à ce que la dernière frontière empêchant une vie libre soit abattue.
Le soldat qui protège la frontière une arme à feu à la main est la même forteresse que le soldat qui défend ses maîtres par tous les moyens et vise sur ordre une foule insurgée. Le flic qui chasse les sans-papiers est la même forteresse que le flic qui patrouille en permanence, observe, intervient, contrôle, arrête, enferme. L’entreprise en bâtiment qui fait du profit en bâtissant un centre de rétention est la même forteresse que celle qui participe à la construction d’une école. La boite de technologies qui orne les frontières extérieures de quelques merveilleux systèmes de surveillance est la même forteresse que celle qui développe des caméras avec programmes de reconnaissance faciale intégrés. L’université qui fournit le savoir servant à la sécurisation des frontières est la même forteresse que celle qui bricole sur la technologie génétique. L’entreprise de train qui déporte est la même forteresse que celle qui transporte tous les jours la marchandise humaine sur son lieu de travail (non seulement lieu d’exploitation et d’activité étrangère à la vie, mais qui produit et reproduit aussi les rapports sociaux au quotidien). La parti qui tient au contrôle des frontières et aux expulsions est la même forteresse que celui qui prétend que la société devrait être gérée par l’autorité. La caméra de surveillance qui enregistre tous les mouvements aux frontières est la même forteresse que celle au coin de la rue. Le laboratoire d’analyse qui prend les empreintes des migrant-e-s dès leur arrivée pour les rentrer dans d’immenses banques de données est la même forteresse que le laboratoire d’analyse ou la banque de données ADN qui relève et exploite les traces des délinquant-e-s potentiel-le-s et des scènes de délit., etc …
La liste pourrait encore bien plus longue … mais cela se répèterait et deviendrait ennuyeux. Ce point devrait être clair.
Ravageons la forteresse dans tous les sens !
Liberté dans toutes les directions !
[Traduit par cette semaine de l’allemand de la brochure « Le long été de la répression », à propos de la manif « contre le racisme, la répression et les expulsions » du 24 juin 2016 à Bâle, Suisse, décembre 2016].