A. M. Bonanno, dans « Canenero » n. 29, 2 juin 1995
Se dire anarchiste veut dire beaucoup, mais cela peut aussi ne rien vouloir dire du tout. Dans un monde d’identités faibles, quand tout semble s’estomper dans le brouillard de l’incertitude, se considérer anarchiste peut être une manière comme une autre de suivre un drapeau, rien de plus.
Mais parfois l’anarchisme est une étiquette inconfortable. Il peut te mettre des questions dans la tête, auxquelles il n’est pas facile de répondre. Il peut te faire remarquer les étranges contradictions de ta vie : le travail, le rôle que la société t’as imposé, le statut auquel toi-même t’as participé, la carrière à laquelle tu n’arrives pas à renoncer, la famille, les amis, les enfants, le salaire en fin de mois, la voiture et la maison dont tu es propriétaire. Pauvre de moi, fixer une distance entre ces attributs et ses idées fondamentales, entre ce que nous sommes et l’être anarchiste, cela ressemble beaucoup à cette lutte entre l’être et le devoir-être qui faisait sourire Hegel : le devoir-être perd toujours.